Considéré comme l’un des meilleurs films de tous les temps par plusieurs sondages et organisations, décuple lauréat des Oscars 1940, Autant en emporte le vent multiplie les honneurs et les récompenses pour atteindre le cercle prestigieux des films les plus populaires de l’histoire du cinéma.
En 1936, Margaret Mitchell publie le roman « Autant en emporte le vent », qui remporte un incroyable succès : traduit en 14 langues, vendu à plus de 35 millions d’exemplaires dans le monde et récompensé par le célèbre prix Pulitzer. Pour la première fois, la guerre de Sécession (1861-1865) est racontée du point de vue du Sud vaincu avec, certes, beaucoup de romanesque, mais surtout un incontestable réalisme. La publication de ce roman et ses conséquences sont essentielles pour comprendre la naissance et l’essence de l’unité américaine. En effet, à la suite de son succès, l'opinion américaine prend conscience des souffrances subies par plusieurs dizaines de millions d'américains du Sud et que l'unité de la nation américaine s'est forgée dans une épreuve très dure, loin de l'histoire officielle.
Dès 1936, le producteur David O. Selznick (qui a notamment été le producteur exécutif de King Kong en 1933, montre son intérêt pour l’œuvre de Mitchell et en acquiert les droits. Trois scénaristes sont engagés pour porter l’intrigue à l’écran, mais Sidney Howard ayant été le plus efficace et le plus productif, il est le seul à être crédité au générique.
Au départ, Selznick envisage Gary Cooper pour incarner l’élégant Rhett Butler, mais l’acteur refuse la proposition, accusant le film de devenir le « plus grand flop de l’histoire d’Hollywood ». Le choix du producteur se rabat donc sur Clark Gable, adoré par le public et lauréat de l’Oscar 1935 du meilleur acteur pour son rôle dans New York – Miami. Mais l’acteur est déjà sous contrat avec le puissant studio de la Metro Goldwyn Mayer, en plein âge d’or, ce qui n’empêche pas Selznick de solliciter le producteur emblématique du studio à la tête de lion, Louis B. Mayer, pour que Clark Gable puisse lui être confié, ce que Mayer accepte.
Pour interpréter la séductrice et capricieuse Scarlett O’Hara, de nombreuses jeunes femmes, connues ou non, se présentent aux auditions : Katharine Hepburn, Jean Arthur, Norma Shearer, Barbara Stanwyck, Carole Lombard, Joan Crawford, Claudette Colbert, Bette Davis et Paulette Goddard notamment. Au terme d’une première sélection, Selznick confie l’identité de ses dernières candidates : Paulette Goddard, Jean Arthur, Joan Bennett et Vivien Leigh. La première manque de près le rôle du fait de sa liaison, mal vue par la société de l’époque, avec Charles Chaplin. Il ne reste alors plus que trois prétendantes, mais quand le tournage du film commence en 1939, le producteur n’a toujours pas arrêté sa décision.
Dès février 1938, Vivien Leigh exprime son intérêt de passer les auditions à son agent, Myron Selznick, qui n’est nul autre que le frère du producteur du film, David. Mais ce dernier n’est d’abord pas convaincu par la candidature de l’actrice, qu’il juge « trop Britannique ». Qu’importe, Vivien Leigh se rend à Los Angeles pour rencontrer le producteur et le convaincre de la recruter. Le lendemain, elle tourne un bout d’essai en compagnie du producteur et du réalisateur George Cukor. Tous deux, emballés par sa « sauvagerie incroyable », choisissent d’un commun accord l’encore méconnue Leigh pour incarner le personnage féminin le plus convoité de l’histoire du septième art. Comme l’a été le producteur, le public est au début réfractaire à l'idée qu'une Britannique incarne la sudiste Scarlett, mais ils finissent par accepter ce choix car, disent certains, « mieux vaut une Anglaise qu'une Yankee ! ».
Le tournage peut enfin continuer avec une distribution fixée, mais pour autant, il ne se déroule pas avec sérénité. Le réalisateur George Cukor est licencié par Selznick, au grand dam des deux actrices principales, Vivien Leigh et Olivia de Havilland, qui n’hésitent pas à rendre visite en secret au cinéaste licencié pour obtenir de précieux conseils dans leur interprétation respective. Selon la légende, Gable, ayant eu du mal à exister face à sa partenaire, aurait demandé, parmi une liste de cinéastes, à ce que le film soit réalisé par son complice Victor Fleming.
De plus, Leigh doit parfois travailler sept jours par semaine, souvent jusque tard dans la nuit. Appelant un jour son époux, l’acteur Laurence Olivier, elle lui déclare qu'elle haït les tournages de cinéma et qu'elle ne veut plus jamais jouer dans un film.
Dans un premier temps, c’est le réalisateur Victor Fleming qui est désigné pour lui succéder, mais celui-ci démissionne, submergé par le travail, et laisse sa place à Sam Wood. Pour un temps seulement, car ce dernier jette à son tour l’éponge pour cause de maladie, et Fleming revient pour récupérer le flambeau et conclure le tournage, retrouvant des acteurs exténués après cinq mois de tournage intensif. Car une chose est néanmoins certaine, Selznick a laissé peu de liberté à ses réalisateurs, supervisa tout le tournage et précisant même dans le détail la composition de certains plans.
D’une durée démesurée de quatre heures et dotée d’un budget colossal de quatre millions de dollars, cette épopée est un pari audacieux pour l’époque car Selznick savait qu’il risquait gros avec l’important et fidèle lectorat du best-seller originel, mais il est réussi. De la puissance lyrique de la musique de Max Steiner aux sublimes ciels orangés en toile de fond, de la maîtrise des travellings-arrières aux costumes ravissants de Walter Plunkett, Autant en emporte le vent mérite d’être complimentée pour sa mise en scène de qualité.
Depuis 1934, le Code Hays régit strictement la production des films et n’hésite pas à drastiquement censurer des séquences considérées comme obscènes, vulgaires ou immorales. Dans ce contexte, Selznick reste pionnier en matière de lutte contre le rigoureux « code de protection ». A l’inverse de ses contemporains qui déjouent la censure par le second degré et les sous-entendus, il parvient à garder deux scènes-clés et polémiques : le sourire ravi et coquin de Scarlett au lever du lit après sa nuit d’amour avec Rhett Butler ; et la réplique mythique de fin, jugée à l’époque trop vulgaire : « Franchement, ma chère, c’est le cadet de mes soucis ». Elue meilleure réplique de l’histoire du cinéma par l’American Film Institute en 2005, cette phrase légendaire a failli être supprimée, la censure préférant la phrase suivante : « Franchement, ma chère, peu importe ». Mais en mettant en valeur le caractère essentiel de cette réplique, et en faisant preuve de compromis pour d’autres points litigieux du film, Selznick obtient une dérogation et conserve la phrase originale.
Aux sources de l’esthétique somptueuse du film, l’usage du Technicolor trichrome, technologie très récente (utilisée notamment pour Les Aventures de Robin des Bois en 1938 et Le Magicien d’Oz en 1939), est essentielle et offre une qualité d’image chatoyantes. De plus, dans certaines plans, l’influence de l’expressionnisme ne laisse aucun doute, bien qu’elle puisse surprendre. À l’instar du mouvement né en Allemagne dans les années 20, Autant en emporte le vent utilise la géométrie des plans fixés sur les éléments essentiels du décor (comme le regard perdu du père de Scarlett dans une résidence en décrépitude), et l’immensité de ces derniers (comme dans les séquences avec le magnifique escalier recouvert d’un tapis rouge). Dans la scène précédant le « viol » de Scarlett par Rhett éméché, le sommet du gigantesque escalier que le personnage gravit est plongé dans l’obscurité, marquant ainsi la noirceur d’une situation qui les dépasse.
Le scénario feuilletonnesque de film-fleuve prend un parti qui a suscité, et qui continue de le faire, des accusations de racisme et de transformation historique : celui d’une époque « dorée » vécue par les Blancs du Sud, où leur existence se mêle à celles des Noirs dans une parfaite harmonie et dans le respect des statuts respectifs de maîtres et d’esclaves. Dans ce contexte idyllique, la guerre de Sécession aurait brutalement abrégé ce paradis, au grand désespoir des Blancs comme des Noirs. Même en 1939, vingt ans avant la bataille de ces derniers pour les droits civiques, le sujet est périlleux, d’autant qu’Hollywood se veut à l’avant-garde du progrès démocratique. Cette nostalgie d'une époque perdue, qui est d’ailleurs souvent évoquée par Ashley et Scarlett, se retrouve dans le titre du film, qui en traduit l’importance : « Gone with the wind » (« emporté par le vent ») désigne une glorieuse époque pour les sudistes, une civilisation emportée par le vent.
C’est cette nostalgie du vieux Sud que cherche à faire revivre le film et qui a sa véracité historique. Aujourd'hui, alors que la Guerre de Sécession n'est plus comprise, qu'elle est uniquement perçue sous l'angle du racisme, le message peut sembler aberrant, mais il existe. Ainsi, le récit décrit avec justesse le destin partagé de ces maîtres et de leurs esclaves. Si l'on comprend mal aujourd'hui l'attachement de certains Noirs pour le Sud, il faut réaliser que la liberté a d'abord été pour eux une plongée dans un monde inconnu, loin de ce qu’ils ont toujours connu. En revanche, la nature paternaliste des rapports raciaux du film fait l’objet d’un quasi consensus de la part des critiques.
Côté distribution, il y a là aussi beaucoup à dire. Vivien Leigh interprète une Scarlett O’Hara vaniteuse, capricieuse et manipulatrice pour laquelle il peut sembler difficile de ressentir de la compassion lorsque Rhett l’abandonne sur le palier de la porte. Néanmoins, il serait biaisé de ne la juger que d’une manière péjorative. En effet, à seulement 19 ans, elle n’hésite pas à prendre les rennes de Tara dans un contexte très difficile : en plus de la Guerre de Sécession, la mère O’Hara est décédée, le père a perdu la raison, les sœurs cadettes sont affaiblies et les esclaves ont pris la fuite. Avec l’aide de Mélanie, elle fait preuve d’un dévouement et d’un courage exemplaire pour sauver sa famille, n’hésitant pas à tuer un intrus nordiste venu piller la demeure. Le portrait de cette jeune femme de la haute société est donc à nuancer, en dépit d’une attitude agaçante et de comportements répréhensibles. Dans son Dictionnaire passionné du cinéma, Laurent Dandrieu résume parfaitement l'esprit du personnage, et derrière lui, du film et du livre : « Derrière la dureté de cette dernière [Scarlett O'Hara] peut se lire une violente charge contre les valeurs corruptrices du Nord, dont Scarlett a été obligée d'adopter les pires travers pour survivre. »
Face ou avec elle, le cynique Rhett Butler est incarné par Clark Gable, au sommet de sa carrière. L’acteur est largement à la hauteur et sa prestation colle parfaitement avec l’image que l’on se fait d’un séducteur capitaine. Ensemble, Vivien Leigh et Clark Gable incarnent le romantisme d’une époque révolue, celle du Vieux Sud comme du Grand Hollywood.
Pour le rôle de Melanie, le producteur a choisi Olivia de Havilland sur les conseils de sa sœur Joan Fontaine, d'abord envisagée. Les deux sœurs vivent encore en bons termes à cette époque. Le tempérament du personnage tranche parfaitement avec celui de Scarlett. Toutefois, si Melanie est parfois innocente et naïve, elle sait aussi braver les interdits. Courageuse, elle est droite et bienveillante, elle est la gardienne de toute la dignité élégante d'une époque et d'une aristocratie de gens d'honneur. Un personnage réconfortant dans les évènements tragiques de la guerre civile américaine.
Selzinck construit une distribution presque parfaite, si ce n’est le choix de Leslie Howard, dans le rôle d'Ashley Wilkes, qui semble discutable. Son impassibilité, son immobilité et son incertitude persistante le rendent fade et inconsistant, un constat d’autant plus vif lorsqu’on le compare avec la fougue de Scarlett. Difficile de comprendre, et encore plus de croire à l'amour que lui porte la jeune femme durant tout le film. Il présente cependant un intérêt : sa nostalgie, qui s’inscrit dans le récit mélancolique des jours heureux des planteurs du Sud avant la guerre civile.
En dépit d’une production chaotique, Autant en emporte le vent se démarque par un romanesque incroyable pour la fin des années 1930. La mise en scène est correctement maîtrisée, avec un usage pertinent du Technicolor, dont les couleurs ternes ou vives suivent le ton du récit, ainsi qu’avec des plans sublimes. La musique de Steiner est en parfait accord avec la nostalgie du Sud et la force de caractère de Scarlett, l'espoir, l'énergie, la volonté de survivre, le désir et la rage de vaincre. Toutefois, la grandiloquence des interprétations semble sortie d’un ancien temps et donne parfois l’impression d’être confronté à des acteurs qui surjouent, mais Autant en emporte le vent mérite tout de même d’être applaudi pour ses qualités qui ne prennent pas une ride.
Lors de la cérémonie des Oscars de l’année 1940, avec 8 récompenses sur 11 nominations, le film réalise une razzia et bat le record de victoires de l’époque, avant d’être à son tour détrôné par Ben-Hur et ses 11 trophées en 1960. Autant en emporte le vent aurait pu réaliser l’exploit d’être nommé dans les cinq catégories phares, « Le Big Five », mais son scénario est adapté d’une œuvre déjà publiée et Clark Gable manque le trophée du meilleur acteur, ce qui exclut donc le long-métrage de cette performance prestigieuse. Néanmoins, le film n’a pas à pâlir de sa réception critique, remportant tout de même les trois autres récompenses principales (Oscar du meilleur film, du meilleur réalisateur et de la meilleure actrice), ainsi que cinq autres trophées, dont l’un d’eux consacre Hattie McDaniel comme meilleure actrice dans un second rôle pour son interprétation réussie de Mamma. A 44 ans, elle devient ainsi la première interprète afro-américaine à recevoir un Oscar, ce qui contribue une fois encore à faire entrer Autant en emporte le vent dans la légende du septième art.