Il est coutume de caricaturer le cinéma français à sa propre absurdité morale, parfois à tort. Pourtant, l'italien Giovanni Aloi tient à exploiter un regard sur l'insécurité qui occupe tous les quartiers de Paris, ainsi que tous les esprits condamnés à l'observer. C'est sur la base d'attentats, tristement encaissés dans l'hexagone que l'on tient un filon patriotique. Et c'est dans cette même démarche qu'il tente de justifier les contradictions que génère ce climat de peur. Il s'agit alors de restituer l'instabilité à la méfiance et la paranoïa à la violence. Ce sont autant de problématiques que l'on peut retrouver ailleurs, mais dans ce premier essai, le réalisateur entend cristalliser cette mutation de la présence militaire dans les rues et le dérapage qui en découle. L'opération sentinelle ne recule pas face aux risques, mais ironiquement, elle ne peut s'engager dans le sillage de l’autorité.
On ne fait pas la police à l'armée et cette confusion pèse déjà sur le premier contact du trio que l'on suivra. Par la même occasion, ce rapport à l'engagement militaire devient obsolète, tout comme leur fonction sur le terrain. Le seul pouvoir qu'on leur confère se tient dans le creux de leur main. Une arme de dissuasion, pourtant avec des balles réelles. C'est sur cette limite que flirte le récit, qui emprunte la mécanique d'un documentaire. La distance et la froideur de la photographie nous renvoient à une authenticité, que l'on rencontre chaque jour, aux côtés de combattants, qui errent dans le même labyrinthe social que ceux qu'ils doivent protéger. L'inaction devient un enjeu primaire chez le jeune Léo (Anthony Bajon), qui a fraîchement terminé ses classes. Et à travers ce personnage, indéniablement endoctriné dans une figure autoritaire, il nous rappelle que la plupart de ses collègues, sont issus de la classe populaire.
En raccrochant ce wagon vers les antécédents des soldats, on se permet d'accentuer le déséquilibre qui les a bercés. Giovanni place donc ses personnages et la France face à un miroir, qui révèle la véritable hostilité qui manque de les achever. Léo n'échappe pas à l'écueil familial qui le préoccupe. Sa seule famille, c’est le drapeau tricolore, luisant dans son esprit imperméable et intouchable. Pour Hicham (Karim Leklou), ce ne sera pas dans la retenue ou la démesure qu’il saura convaincre. Une conscience les appelle à développer des troubles d’identitaires et sans doute d’égos, lorsque Yasmine (Leïla Bekhti), à la tête de l’unité, préfère écouter son instinct maternel pour subsister. Pourtant, ils partagent tous un désir de reconnaissance, voire d’ascension, dans ce milieu sans couleurs et sans issue. Les soucis sont donc portés à la même hauteur, car plus rien d’autre n’a d’importance que cette traque, cette guerre invisible contre le terrorisme, qui va et vient, comme une sentinelle du chaos.
Ce fond reste maîtriser les temps d’un doute, d’une idée, qui n’évoque qu’un danger imminent. « La Troisième Guerre » convoque très bien cette pression avant d’intérioriser son étude, au cœur même des hommes et des femmes, qui ne peuvent nager à contre-courant et qui ne peuvent entièrement prétendre aux droits auxquels ils aspirent. La réalité est amère, brutale et relève le niveau de l’intrigue dans son ultime chapitre, dont les ficelles, grosses comment des nuages, reconstituent l’incompréhension de notre monde, qui s’effondre et qui ne sait plus distinguer l’humanité de sa propre machine de mort.