J'aime les gens qui doutent, les gens qui trop écoutent leur cœur se balancer
J'aime les gens qui disent et qui se contredisent et sans se dénoncer…
Et moi, j’aime le cinéma de Stéphane Brizé. J’ai choisi de mettre en exergue de cette chronique deux vers de la chanson, Les Gens qui doutent, d’Anne Sylvestre, au son de laquelle se déroule le générique à l’issue de ces 96 minutes aussi révoltantes que bouleversantes. Un cadre d'entreprise, sa femme, sa famille, au moment où les choix professionnels de l'un font basculer la vie de tous. Philippe Lemesle et sa femme se séparent, un amour abimé par la pression du travail. Cadre performant dans un groupe industriel, Philippe ne sait plus répondre aux injonctions incohérentes de sa direction. On le voulait hier dirigeant, on le veut aujourd'hui exécutant. Il est à l'instant où il lui faut décider du sens de sa vie. On n’a pas de mots assez forts pour décrire le malaise que l’on ressent devant cette nouvelle démonstration du cynisme du monde de l’entreprise qui broie ce qui la servent, du haut au bas de l’échelle. Un constat cruel mais, hélas, réaliste.
Ce drame rend compte des conséquences du travail de ceux qui sont considérés comme le bras armé de l'entreprise mais qui sont simplement des individus pris entre le marteau et l'enclume. Le film met en scène la perte de sens de la vie d'un cadre d'entreprise qui, en même temps que son mariage s'effondre, a de plus en plus de difficultés à trouver de cohérence dans un système qu'il sert pourtant fidèlement depuis des années. De nombreux cadres témoignent d’une vie personnelle et professionnelle à laquelle ils parviennent de moins en moins à donner un sens parce qu'on ne leur demande plus notamment de réfléchir mais simplement d'exécuter. Cette fois, Brizé n’a pas opté pour une mise en scène visant à capter le réel, il a voulu au contraire réintroduire un degré de fiction beaucoup plus important. Que ce soit dans l'intime ou le professionnel, sa caméra virtuose, toujours placée au plus près des personnages, ne rate pas un instant, un souffle, un regard, un silence et nous fait pénétrer l’âme de ses personnages. Le cinéma intimiste porté à son sommet
Après Mademoiselle Chambon, Quelques heures de printemps, La Loi du marché et En guerre, Vincent Lindon retrouve ici son réalisateur fétiche. C’est, on le sait depuis longtemps un acteur majuscule qui sait, encore une fois, traduire la sensation d'encerclement et d'enfermement de son personnage. Sandrine Kiberlain, - mariée à Lindon de 1998 à 2003 -, est impeccable, alors que la nature des liens passés, résonne d'une manière particulière dans ce qu'elle a ici à jouer. Anthony Bajon, qui confirme de film en film son talent. Ici dans le rôle casse-gueule d’un ado, symptôme à la fois des dysfonctionnements de la famille et de notre société, celui qui veut être à la hauteur du désir de sa famille et de son environnement mais qui explose en vol en faisant ce qu'on appelle une décompensation. Marie Drucker, qui a abandonné il y a quelques temps son métier de journaliste, se confronte pour la 1ère fois avec le grand écran et s’en sort parfaitement. Après En guerre et La Loi du marché, ce film semble refermer un triptyque qui scrute les trois périodes clés témoignant des mécanismes de destruction des emplois en même temps que leurs conséquences humaines. Un drame social qui continue de faire de Stéphane Brizé le Ken Loach français.