Stéphane Brizé est capable de mettre à nu certaines vérités, que le temps finit par déchirer (Quelques heures de printemps, Une Vie), mais il est également capable de laisser le chaos du quotidien raisonner de lui-même. Dans la lancée de « La loi du marché » et « En guerre », il porte de nouveau Vincent Lindon dans une spirale administratives, où plus rien ne compte que les valeurs d’une entreprise, en quête de chiffres et d’un monopole écrasant. Pourtant, la nature humaine a toujours une place primordiale dans ce plaidoyer ludique et qui réclame la tension dans chacun de ses plans, qu’ils soient significatifs ou simplement démonstratifs. L’œuvre déplace même son point de vue là où il le regard doit justement se poser. Les enjeux des personnages font alors tout ce qu’il faut pour rendre ce récit aussi romanesque que possible, tout en laissant traîner le filigrane d’une terrifiante réalité, que nous pensons déjà avoir assimilés.
L’approche du cinéaste et son co-scénariste Olivier Gorce est la bonne, permettant ainsi d’engloutir la masse salariale à un jeu de compétitivité, régi par des forces invisibles, mais dont les conséquences dépendent vraisemblablement du marché financier. Alors que la mondialisation devient le nerf de la guerre des têtes d’entreprises, d’autres piétinent pour leurs supérieurs, dont les ordres peuvent résonner comme des caprices de bureaucrates, avides de gonfler leur portefeuille. Pourtant, bien que l’on prenne plus de distances avec le bas de la chaîne, les cadres eux-mêmes ne sont pas à l’abri de coups de bâton, qu’ils doivent transmettre à leur tour, afin de prouver leur bonne foi aux valeurs qu’ils défendent. C’est le triste constat que subit Phillipe Lemsle, dirigeant d’une usine de province, qui se bat contre sa hiérarchie, où la loyauté et autres discours du management moderne ne le sauveront pas d’une oppression, qui aura des teintes jusque dans sa vie privée.
Il n’est pas étonnant d’ouvrir l’intrigue sur une instance de divorce, où les biens communs sont disputés par des avocats qu’ils n’ont plus rien d’humain dans les échanges. Anne (Sandrine Kiberlain) et son mari ne sont pourtant pas de cette trempe, de cette désincarnation volontaire, simplement pour satisfaire des profits, établis sur le malheur d’autrui. Et c’est également ce qui arrive à Elson, entre les réunions formelles et informelles, qui débâtent sur les conséquences d’un plan social « dégraissant ». On ne le justifiera jamais assez, car les licenciements influent bien plus que prévus sur les performances d’un système et sur le bien-être de salariés, qui sont au bord de la rupture, mais qui ne l’est pas ? Lorsque Philippe s’évade un peu plus, il retrouve son fils hyperactif (Anthony Bajon), symbolisant l’avenir d’une jeunesse qui doute, qui s’énerve facilement, qui cherche à se trouver une destination, qui tient hélas du rêve, car personnes n’est à l’abri des ficelles qui se déploient autour de nous.
La roue tourne dans « Un autre monde », mais pas dans le même sens selon les individus, où les cadres courent constamment sur un tapis roulant. Et quand bien même on puisse encore tenir sur ses pattes, ils ne font que stagner, qu’exploiter l’horizontalité de leur champ juridique et patronal. Le récit parcourt toute cette frustration, qui arrive jusqu’à une dirigeante, tantôt distinguée, tantôt démoniaque, campée par une étonnante Marie Drucker. Finalement, nous retiendrons que l’étroite collaboration avec ses pairs ne tient qu’à un fil, qu’il s’agit de bien tirer ou de relâcher au bon moment. Mais le timing et le sens des responsabilités ne semblent plus s’accorder une once d’initiatives, si elles n’ont pas déjà été avortées ou ne seront pas finies pas en bouillie à l’arrivée.