L’an dernier, beaucoup de ceux qui étaient allés voir Au nom de la terre d’Edouard Bergeon en avaient été remués aux entrailles. Difficile de rester insensible au drame de l’agriculteur parfaitement interprété par Guillaume Canet, ce drame épouvantablement fréquent dans le monde rural, celui d’un homme s’épuisant au travail tout en croulant sous des dettes qui ne cessent de s’accroitre, au point qu’il en vient à se suicider. Aujourd’hui, c’est un documentaire qui nous interpelle à nouveau sur ce même sujet. Pas d’acteur donc, mais un agriculteur bien réel avec qui le réalisateur a fait connaissance sur une plage de la côte Atlantique, un homme, Cyrille qui, avouant à son interlocuteur qu’il ne savait pas nager, ne tarda pas à ajouter que c’était la première fois de sa vie qu’il prenait un peu de vacances et qu’il voyait la mer ! Sa vie se déroulait tout entière dans une ferme d’Auvergne et il ne connaissait rien d’autre.
C’est du quotidien de cet homme que Rodolphe Marconi a entrepris de rendre compte, donnant au film un titre programmatique : Cyrille, agriculteur, 30 ans, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettes. Plus de risque de divulgâcher grand-chose, se dit-on, avec ce titre qui semble tout résumer. Mais la vérité d’un homme ne se réduit pas à une suite de quelques mots et l’on se rend vite compte qu’il manque au moins une épithète faisant état de la solitude de Cyrille. Elle est flagrante. « Certains jours, affirme-t-il, je ne parle qu’à mes vaches et à mon chien. » Or s’il y a une chose dont il a besoin, précisément, cet agriculteur, c’est de parler, c’est de se confier, c’est d’être accompagné.
Sa mère était celle à qui il pouvait parler, ajoute-t-il, mais elle est décédée depuis un an. Avec son père, par contre, pas d’épanchement possible, et pas davantage avec l’ouvrier agricole qui le seconde. Cyrille n’a qu’un véritable ami et il ne le voit que de temps en temps. Fort heureusement, il y a aussi deux conseillers qui, connaissant ses difficultés financières, l’accompagnent dans ses démarches. Néanmoins, la solitude est extrême dans cette ferme auvergnate. Les journées sont harassantes. Cyrille se lève à 6 heures et ne se couche jamais avant minuit. Il explique même à une femme rencontrée sur le marché où il va vendre son beurre que, souvent, il se réveille en pleine nuit, dès 3 heures, pour ne plus se rendormir !
C’est que les soucis s’accumulent inexorablement. Avec ses 20 vaches, Cyrille ne peut faire face à toutes ses dépenses, même s’il est logé et nourri gratuitement par son père. Il n’est pas en mesure de se rémunérer lui-même. Son élevage est une inéluctable faillite. Pour s’en sortir, il lui faudrait posséder davantage de vaches. Or, par malheur, il y a eu plusieurs décès dans son cheptel.
Rodolphe Marconi filme Cyrille au plus près, en évitant cependant le misérabilisme. Il y a de la dignité chez cet agriculteur, peut-être aussi quelque chose de l’ordre de la foi (une scène le montre allant à l’église du village pour y allumer un cierge). Sa souffrance, il l’exprime clairement cependant, y compris sa souffrance affective. I
l en parle, ne dissimulant aucunement son homosexualité. Mais ses rencontres, il les fait surtout virtuellement, quand, à minuit, dans son lit, il consulte sur son smartphone une application dédiée à la drague entre gays. Cyrille ne se voit d’ailleurs pas ramenant un jour quelqu’un à son domicile : pour aller dans sa chambre, il est obligé de traverser celle de son père !
8/10