Quel coup de génie! Déjà, sur le papier, avoir su mixer du Mala Noche et Last Days de Gus Van Sant avec du Maurice Blauchot, en l’occurrence son puissant et percutant "Folie du Jour", cela donne très envie de découvrir ce mélange inédit, avec cependant une certaine appréhension... Après le film, quel choc! Ce mixage est au-delà de mes attentes et le pari plus que tenu! Doublé d'une multitude d'histoires pour montrer la facticité des rapports humains dans un monde irréel où tout fait conte, pour s’éloigner de la violence du parcours d'un exilé, le rendant ainsi encore plus cruel. Finalement en s’éloignant de la réalité, on s'en rapproche et celle-ci nous parait plus horrible, plus palpable et actuelle que jamais. Grâce au mécanisme de la littérature et de la multiplication des histoires qui se superposent pour n'en former qu'une (film, texte de Blanchot, et voix off souvenirs de jeunesse du héros), tout nous éloigne et nous rapproche du sujet même: celui de la survie et du misérabilisme de la société (à l'instar de "La Folie du Jour"). Comme le réalisateur Claude Chamis le souligne: "Ivan est un pur vagabond innocent, à la Thoreau, ou la le Kerouac ou Dostoeivski, sur lequel le mal va inéluctablement s’acharner." Ivan ne peut même plus se tourner vers le seul soutien qui lui reste et se livre à des actes païens
(les enterrements de l’oiseau et du jeune homme à la fin)
, même procédé, même symbolisme. Il est innocent mais doit maintenant vivre avec cette souffrance. Figure Christique, souillé, assailli et crucifié par la société, même au plus profond des bois... La Balade d’Ivan est une sorte de conte moderne et cruel où les désirs et les desseins d'un jeune homme sont placés sous le signe de la marchandise, de la réduction de toute chose à son prix. L'un des enjeux du film est aussi de montrer à travers son parcours, son vagabondage et ses rencontres, la montée croissante du pouvoir de l'argent. Cet argent qui contamine et détériore toute chose. Il y a des séquences (magiquement filmées) pleines d'insouciance, de sensualité et de poésie qui, loin de faire dévier du cauchemar que vit Ivan, le renforcent encore davantage.