Plus de quarante ans après sa sortie, "L'exorciste" conserve sa place tout en haut du panthéon des films d'horreur qu'il occupe avec "Shining" (Stanley Kubrick, 1980), "Aliens" (Ridley Scott,1979), "Carrie" (Brian de Palma, 1973), "Massacre à la tronçonneuse" (Tobe Hooper,1973), "Rosemary's baby" (Roman Polanski, 1968) ou encore "The thing" (John Carpenter, 1982). Avec ce film devenu l'un des plus rentables du genre horrifique (400 millions de dollars) William Friedkin obtient son deuxième et dernier succès public. Après "L'exorciste" on est certes allé plus loin dans le domaine des images chocs à l'écran, notamment depuis les années 2000 avec des réalisateurs comme James Wan ou Eli Roth mais Friedkin fut le premier à exposer une violence si crue, émanant en sus d'une enfant, image archétypale de l'innocence. Ce fait d'armes ajouté à une rumeur de sadisme dans la direction des acteurs construiront la légende sulfureuse de William Friedkin. Une réputation qui le desservira dès ses premiers revers au box-office qui commenceront juste derrière avec le flop du pourtant magnifique "Convoi de la peur" (1977), remake du "Salaire de la peur" de Clouzot nimbé de la musique planante de Tangerine Dream. Inspiré du roman à succès encore tout frais de William Peter Blatty sorti en 1971, le film partait donc sur de bonnes bases. Comme pour "French Connection", Friedkin qui n'était pourtant pas le premier réalisateur pressenti (Stanley Kubrick, John Boorman, Arthur Penn, Mike Nichols), apporte une force visuelle incroyable à cette histoire de possession de l'âme et du corps d'une enfant par le diable, savant mélange d'esthétisme raffiné et de réalisme inspiré du documentaire, la vocation initiale de Friedkin. La progression de l'intrigue est relativement lente mais Friedkin sait la rythmer de moments forts qui maintiennent la tension du spectateur comme l'aurait fait Hitchcock avant lui. La lutte entre le bien et le mal ou l'antagonisme entre le religieux et le profane sont des thèmes qui fascinent Friedkin et qui hanteront toute son œuvre. Le prologue en Irak, photographié par Billy Williams est de toute beauté, apportant la touche d'exotisme qui d'emblée rappelle les origines séculaires de la peur du démon. Un plan magnifique opposant sur un fond de coucher de soleil, le père Merrin (Max Von Sydow) à une statue du démon inspirée des gargouilles de Notre-Dame de Paris nous informe du duel à mort qui va suivre. Le retour au quotidien banal de Georgetown (quartier de Washington) implique plus directement le spectateur indiquant que par-delà les mers et les siècles, la malédiction peut frapper n'importe qui, n'importe où. C'est Regan (Linda Blair), la fille de Chris (Ellen Burstyn), une actrice célèbre divorcée, qui sera l'élue comme Rosemary ("Rosemary's baby" de Roman Polanski en 1968) l'avait été pour enfanter la progéniture de Satan. Crescendo, la possession progresse alors que commence le balai des examens médicaux impuissants à expliquer les étranges réactions de la petite Regan que Friedkin pour mieux faciliter notre compassion pour sa maman avait bien pris soin de nous présenter comme une enfant épanouie et aimante. Sur un rythme lent (trop selon certains) Friedkin joue avec nos nerfs comme avec ceux de Chris qui assiste à la transformation fulgurante de sa progéniture qui en plus d
e jurer comme un charretier joint le geste à la parole, s'enfonçant en autre distraction un crucifix dans les parties intimes et ordonnant à sa mère de venir lui honorer de ses délicatesses son intimité la plus profonde
. On comprend mieux dès lors la polémique qui suivit le film, participant à sa réputation notamment lors de son arrivée en Europe. Pour la partie américaine du film, Friedkin a laissé œuvrer Owen Roizman son opérateur de "French Connection" qui utilise les tons froids les plus appropriés à l'ambiance mortifère qui règne dans et aux abords de la chambre de Regan. Rejoint par le père Merrin de retour d'Irak,
peut alors entrer en scène le père Karras dont nous ont été savamment distillés par petites touches les conflits intérieurs, notamment celui lié au devenir de sa mère dont il culpabilise de n'avoir pu lui offrir une digne fin de vie
. Friedkin est alors en route pour le climax final qui nous ramène au titre du film. Quand tout a échoué et que même la science vous y invite entre en jeu le recours au divin. La lutte promise dans le plan final du prologue irakien embrase donc une conclusion grandiose. Tout s'accélère et il faudra la mort de deux hommes pour libérer l'enfant de cette présence étrangère. Friedkin satisfait du devoir accompli
peut alors laisser Chris et Regan partir vers leur nouvelle demeure
, il a réussi un chef d'œuvre. Œuvre dérangeante et par moments grandiloquente "L'exorciste" est bien à l'image de son réalisateur au caractère tourmenté et sans concession, qui vous hante longtemps après chaque vision, même si la première reste évidemment la plus forte. On notera au passage la présence amicale de Lee J.Cobb grand acteur des années 40 chez Dassin et Kazan. Enfin on remarquera que le thème si célèbre de Mike Olfield ,"Tubular bells" si étroitement associé au film est très peu présent. Pour apprécier cette confrontation avec le diable rien de mieux que le Blu-Ray de chez Warner qui vous offre la version director's cut.