Laurent Tirard aime les adaptations. On le savait depuis Le Petit Nicolas suivi des Vacances du même gentil héros du tandem Sempé-Goscinny. On l’avait diversement apprécié dans ses adaptations d’Astérix et Obélix. Voilà qu’à présent il se tourne vers Fabcaro – qu’il a découvert, comme tout un chacun, en lisant l’étonnant et séduisant Zaï Zaï Zaï Zaï : c’est dire la passion que l’ancien critique de cinéma voue à la bande dessinée.
Or, ce n’est pas l’auteur de BD qui a suscité le projet d’adaptation de Laurent Tirard, mais bien le romancier, auteur du Discours, fidèle à cet humour décalé et terriblement efficace qui a fait la réputation de Fabcaro.
Adrien est bien triste : sa compagne Sonia vient de se mettre en « pause » – traduisons elle l’a quitté pour un moment indéterminé. Seul dérivatif, mais ô combien pesant : le traditionnel repas de famille avec papa (qui n’en finit pas d’ennuyer le monde avec ses explications scientifiques), maman (fidèle à ses immuables recettes), sœurette (avec qui Adrien n’a guère de points communs) et le futur beau-frère (champion toutes catégories dans l’art de vanter les bienfaits du chauffage au sol). Pendant ce temps, Adrien n’attend qu’une chose : un SMS de sa copine dont il espère qu’elle rompra le plus vite possible son silence.
Or, voilà que le beauf suggère à Adrien de prononcer un discours lors du mariage qui ne saurait tarder. Dès lors, les angoisses d’Adrien vont redoubler et la hantise de « la chenille qui redémarre » va surgir comme un leitmotiv dans le cerveau passablement troublé du jeune homme.
C’était un fameux défi pour Laurent Tirard d’adapter un roman qui ne présente aucune action et qui offre une narration introspective sous la forme d’un long monologue intérieur. Comment faire pour ne pas ennuyer le spectateur ? La réponse est déjà dans le choix de l’acteur principal, Benjamin Lavernhe : une présence indéniable, une diction impeccable (on a beau dire, le théâtre offre la meilleure formation dans ce domaine) et un humour pince-sans-rire qui sied pleinement au personnage d’Adrien.
Deuxième ingrédient : le « discours » intérieur d’Adrien va se traduire par une adresse quasi systématique de l’acteur à la caméra, tandis que le quatuor familial s’immobilise comme si le temps était suspendu. On peut aimer, on peut aussi trouver le procédé un peu lourd à force d’être répété. Enfin, les temps se télescopent joyeusement et la scène du « réel » croise celle de l’imaginaire et du fantasme. Voilà qui rappelle les bons vieux procédés mis en place par l’irremplaçable Woody Allen.
Que le film présente quelques faiblesses dans le déroulement du récit, c’est certain : difficile était le pari engagé par Laurent Tirard. En particulier on pourra reprocher au cinéaste de nuire, pourrait-on dire, à la bonne respiration du spectateur : les séquences se succèdent à un rythme si rapide que tout est mis sur le même plan et que l’intérêt du spectateur s’en trouve affaibli.
Il n’empêche que le film est une réussite et que l’on peut même parler de virtuosité dans l’art de filmer. Et puis, si Benjamin Lavernhe effectue une réelle performance, il faut saluer les prestations de Sara Giraudeau (la petite amie en « pause »), Julia Piaton et Kyan Khojandi (la sœur et le futur beau-frère), François Morel et Guilaine Londez (le père et la mère d’Adrien).
Enfin, si l’on a bien à faire ici à une comédie, c’est d’une de ces œuvres rares et bienvenues dans le paysage français qu’il s’agit : pas d’acteurs tout désignés pour susciter le gros rire de la masse des samedis soir, pas de scènes de mauvais goût ou d’une bassesse comme il s’en trouve trop souvent dans les comédies à la française, rien qu’une approche honnête et intelligente – ajoutons efficace – qui fait de ce film sinon un chef-d’œuvre, du moins une production qu’il serait dommage de ne pas découvrir.