Jean-Pascal Zadi et John Wax proposent un film sur une question qui ressemble à un baril de poudre, la question raciale, et ils avancent armés d’une allumette ! C’est par cette métaphore qu’on pourrait résumer « Tout Simplement Noir ». Avant de parler du fond, il faut s’attarder un peu sur la forme. En choisissant le faux docu-fiction, Zadi et Wax se sont, en quelque sorte, simplifié la vie. On suit donc Jean-Pascal dans ses rencontres, en famille, sur ses castings, sous la forme d’une équipe de télévision. Pas de voix off, pas d’interview, c’est un peu la même démarche que « C’est arrivé près de chez vous ». C’est pratique du coup, pas besoin de chercher le parfait cadrage, la lumière idéale ou le travelling de fou, on suit JP caméra à l’épaule, avec tout ce que cela suppose. Et peuvent juste s’amuser un peu avec le montage et le contre champs, ce qu’ils ne se privent pas de faire, avec un certain bonheur je le reconnais. Il se peut que ce parti-pris de faux documentaire ne plaise pas à tout le monde, justement parce que c’est jouer un peu la facilité. Mais moi ça me convient, j’aime bien les démarches un peu différentes. Et puis, le faux documentaire est là pour être volontairement ambigu, c’est clairement sa force. Tout ces acteurs qui apparaissent à l’écran jouent leur propre rôle, et s’auto parodient beaucoup. Comme ils le font tous avec un vrai talent, j’y reviendrai, en tant que spectateur on est toujours un peu sur la ligne de crête : quelle part de vérité dans ce qu’ils jouent, quelle part d’autodérision ? Dans certains cas le curseur entre les deux est facilement positionné (le rôle de Fari, celui de Lucien Jean-Baptiste), dans d’autres c’est moins évident. Et du coup cela distille un petit quelque chose dans le film, d’un peu indéfinissable. Cela peut plaire, cela peut déplaire, mais moi j’adhère ! Jusque dans son très chouette générique de fin, le film fonctionne. Le casting de « Tout Simplement Noir » est impressionnant, de Soprano à Claudia Tagbo, de Fabrice Eboué à Omar Sy, en passant par Joey Starr, Mathieu Kassowitz, Jonathan Cohen, Ramzy Bedia, Eric Judor, il me faudrait 10 lignes pour tous les citer ! Qu’ils soient là pour une simple apparition ou pour un rôle plus étoffé, juste le temps d’une scène ou tout au long du film, ils jouent leur propre rôle avec une vraie et profonde autodérision, se faisant maltraiter sans vergogne par Jean-Pascal qui parfois (mine de rien) tombe drôlement juste malgré (ou grâce) sa maladresse ! Jean-Pascal Zadi, qui lui aussi d’une certaine manière joue son propre rôle, ne s’épargne pas du tout au passage. Il compose un JP attachant mais complètement inconscient du baril de poudre sur lequel il promène son allumette. Il est à la fois naïf et pétri de clichés, s’obstinant à voir la question raciale sous un angle simpliste, binaire, facile à penser. Il pourrait se nourrir de cette complexité au fil de ses rencontres, mais on a l’impression qu’il ne fait qu’assimiler les clichés des autres, les raccourcis des autres, les psychoses des autres. Exemple : quand il va voir les extrémistes de la cause noire pour essayer de leur demander de faire le service d’ordre de sa marche,
il se fait rembarrer car les militants le trouve trop mesuré ! Du coup, loin de comprendre qu’en fait, on trouvera toujours plus forcené que soit, il essaie de surfer bêtement sur leurs arguments.
En réalité, Jean-Pascal ne maitrise pas son sujet, le racisme qu’il dénonce lui sert à exorciser ses échecs personnels (vis-à-vis de son métier, vis-à-vis de son fils et de son père), mais pas à les assumer. C’est sa rencontre avec Omar Sy qui lui fait éclater au visage cette espèce d’imposture : Omar Sy, il le déteste parce que c’est tout ce qu’il voudrait être, et qu’il n’est pas ! Quelle est la part de Jean-Pascal Zady dans le rôle de Jean-Pascal ? Lui seul le sait… Mais il est drôle en tout cas, avec son physique étonnant (dont il se moque aussi au passage), parfois ses regards pleins d’incompréhension ou de naïveté font mouche. Espérons qu’après « Tout Simplement Noir » sa carrière va décoller, ce serait ironique en tout cas. Le film se compose en fait de plein de petites scénettes, certaines sont drôles, vraiment très drôles, d’autres plus tendres, mais je n’en trouve pas une qui tombe réellement à plat. C’est la bonne surprise du film, il est constant, fort de ses 90 minutes montre en main, il ne baisse jamais d’intensité. Quelques scènes sortent du lot, celle de Mathieu Kassowitz et son casting malsain, la réunion interraciale et œcuménique chez Ramzy qui tourne au vinaigre mais surtout le duel Fabrice Eboué / Lucien Jean-Baptiste. Au début ils dinent amicalement ensemble pour discuter d’un projet de film et l’arrivée de JP fait exploser la scène (alors qu’il ne prononce quasiment pas un mot !). Difficile d’en dire plus, mais ca faisait longtemps que je n’avais pas entendu des dialogues aussi « subversifs » sur le cinéma français et les « films de noirs » !
Et puis, vers la fin du film, il y a une scène qu’on ne voit pas venir mais qui pour le coup ne fait pas rire du tout : une vraie bavure policière, brève, violente, arbitraire, de celle qui parfois tournent au drame. Zady et Wax la place là, ils ne l’expliquent pas, elle arrive comme une fulgurance sans crier gare. Elle est là pour rappeler au passage qu’on peut traiter le racisme par le biais de la comédie mais qu’il y a toujours une réalité derrière, et qu’elle est vilaine.
Le ton du film est audacieux car le scénario cherche à démontrer pendant 90 minutes que la question raciale est une question d’une complexité terrible, qu’on est tous le raciste de l’autre, l’extrémiste de l’autre, qu’on est tous tiraillé par nos propres contradictions, qu’il n’y a pas de solutions clefs en main. Mais par petites touches, au milieu de cette démonstration, le vrai racisme affleure parfois.
Dans la scène de la violence policière bien sur, ou celle du casting hallucinant du prochain Kassowitz,
mais aussi au détour d’une parole, d’un mot mal choisi, d’une image. « Tout Simplement Noir » n’est pas juste un film qui taille un short avec gourmandise et efficacité au communautarisme. Il est un peu plus que ça, il faut peut-être le voir comme une pellicule photo : moquer ouvertement le communautarisme, pour qu’on discerne encore plus nettement le racisme inconscient mais bien réel qui sommeille en chacun de nous, toutes couleurs confondues. C’est ambitieux, c’est horriblement gonflé par les temps qui courent, et dans une certaine mesure c’est réussi !