Après avoir vu "First cow" de Kelly Reichards il y a 15 jours, je n'ai guère été dépaysé en voyant " Pig", ces deux films, aussi réussis l'un que l'autre, se passant dans les forêts de l'Oregon, avec à chaque fois un animal domestique servant de fil rouge à l'intrigue, et échappant aux scénarios convenus. J'ai lu certaines critiques ici mettant en cause la cohérence du scénario. Je ne suis pas de cet avis, car si le réalisme effectivement peut être éventuellement critiqué, le souffle du film, très lyrique, est assez fort pour imposer l'œuvre. Tout comme Melville parvient à le faire avec" Moby Dick". Encore un animal mythique recherché par les hommes, et vu comme une métaphore du sacré.
C'est donc un film puissant et visionnaire, partant du postulat survivaliste, d'un homme névrosé, ayant abandonné la gloire d'une fonction qui est devenu depuis quelque temps prestigieuse, celle de cuisinier d'excellence, pour vivre en ermite, tout au fond d'une forêt sombre de l'Oregon, à proximité de Portland. Sa seule compagnie est celle d'une truie truffière, dont il vend une partie de sa production à un jeune homme, n'échangeant avec lui que quelques mots, à chaque fois qu'il vient lui rendre visite. Une sorte de facteur finalement, seul lien avec le monde extérieur.
L'enlèvement nocturne de la nuit, après un déchainement de violence va déranger cet ordre immuable et minimaliste, et projeter le misanthrope vers la ville. Le lien qu'il a construit avec l'animal, on le sait dés les premières images, est intensément affectif.
Tout est à la fois très brut de coffrage, dans ce film et se joue tout autant sur le fil de l'émotion cachée. Ce pas de deux était très difficile sans doute à obtenir. Peu de dialogues, mais les images parlent d'elles mêmes autant que les situations. Suivent des interrogations sur le sens de la vie, la qualité de ses engagements, le regard rétrospectif que l'on jette sur les choses, et la vision désenchantée d'un monde qui semble sur le bord d'une catastrophe à venir, dont le vieil homme se fait l'écho.
La vague n'épargnera personne et engloutira tout, nous dit il. Il a senti sa menace à mesure que sa vie perdait son sens. J'ai pensé alors à cet autre film crépusculaire et étrange qu'est "Take Shelter"...Beaucoup d'œuvres actuellement nous disent de chercher un abri, de revenir à l'essentiel, de nous détourner de ce qui est vain et vulgaire. Et "Pig" est assurément un de ceux là!.