Voilà un film intéressant et très bien fichu, qui a la bonne idée de vous capter d’emblée avec une scène d’ouverture à la fois très étrange
(qui semble n’avoir absolument aucun rapport avec le sujet du film)
et efficace et on passera une bonne partie du film à se demander à quelle moment elle va faire sens et s’intégrer dans l’intrigue. En fait, avec le film d’Antoine Barraud, on se pose mille questions tout le temps. Il a construit son film comme un puzzle ou plutôt comme un casse-tête. L’histoire de Judith/Margot est tellement imbriquée que chaque fois qu’on semble avoir un indice pour comprendre, cela soulève une autre question. Barraud joue en permanence ce numéro d’équilibriste ; dire des choses sans jamais trop en dire pour maintenir le casse-tête bien en place. Judith ment, beaucoup, à beaucoup de gens, parfois gratuitement :
Melvil connait-il Abdel et/ou inversement ? Comment réussir à avoir une petite fille sans que l’autre famille ne se doute de rien ? A-t-elle en réalité une troisième identité (la bonne ?) ? Est-elle totalement mythomane ou bien parfaitement consciente de tous ses mensonges ? Que savent ses parents ? Comment se procure-t-elle des faux papiers d’identité ? Et surtout, pourquoi se retrouve-t-elle dans cette situation, à quelle moment tout à basculé ?
On mettra un bon moment à trouver des réponses à tout cela, mais on finit par les obtenir dans un dernier quart d’heure qui dénoue tout, dans la douleur. Le scénario est-il crédible ? Je ne sais pas mais je lui reconnais la qualité d’être cohérent, de finalement tout expliquer. Je me demande si on ne devrait pas voir le film deux fois, pour essayer de repérer les moments, les paroles, les situations qui aurait pu nous donner des indices qui nous ont échappé à la première vision.
L’explication finale de toute cette histoire n’est pas tirée par les cheveux comme on a pu l’imaginer, elle est humaine, terriblement humaine et pour tout dire, assez bouleversante.
Pour porter sur ses épaules ce film pendant presque deux heures, il faut une actrice d’exception et Virginie Effira en est une. Elle trouve très vite le bon équilibre entre la force tranquille qu’elle est censée incarner et l’immense désarroi (grandissant) que la situation a fait naître en elle. La seule question qui peut-être, est laissée en suspend c’est à quel point sa raison vacille : d’un simple étourdissement au début pendant un concert jusqu’à une fin éprouvante aux limites du drame, elle se brise intérieurement sous l’œil du spectateur. Elle est parfaire, Effira, et elle très bien accompagnée par Bruno Salomone et Quim Gutierrez. Ce dernier ayant un rôle plus ambigu et plus insaisissable,
on finit par se demander quelle part de responsabilité il a dans la situation de Judith
. On peut ajouter des seconds rôles importants tenus par Jacqueline Bisset, Valérie Donzelli ou l’adorable Loïse Benguerel, qui apportent beaucoup à l’intrigue sans pourtant avoir beaucoup de temps à l’écran. Antoine Barraud joue la carte Hitchcock dans la forme, c’est ambitieux mais par moment, ça fonctionne assez bien. Il utilise la musique comme le faisait le maître du suspens, en la rendant de plus ne plus forte, de plus en plus dissonante par moment. Il joue beaucoup sur le hors-champs dans des scènes capitales pour Judith : soit la caméra est braquée sur elle alors que l’action est ailleurs (le concert), soit au contraire elle est braquée sur un autre personnage sans discontinuer
(la garde à vue)
. Je regrette peut-être une fin une tout petit peu trop longue
avec une scène de fuite finale qui dure longtemps et se termine un peu étrangement.
Mais dans l’ensemble on est devant un thriller psychologique réussi au scénario malin et cohérent et qui donne à Virginie Effira un rôle qui fera peut-être date dans sa carrière, qui sait…