A l'origine du sujet de Tu mourras à 20 ans se trouve une nouvelle d'un écrivain et activiste soudanais très connu, Hammour Ziada, lequel vit en Egypte parce qu'il a été banni du Soudan. Amjad Abu Alala a lu son récit en 2016 et a tout de suite su qu'il serait la base de son premier film. Il se rappelle :
"Cette histoire rimait de façon précise avec mon enfance. Je suis quelqu'un de plutôt joyeux : j'aime la vie, j'aime la fête, je bois, etc. Mais la mort est toujours présente quelque part dans mon esprit. Quand j'étais beaucoup plus jeune, au Soudan, j'ai perdu à trois mois d'intervalle mon meilleur ami et l'une de mes tantes. Ces deux décès m'ont dévasté. Je n'ai plus parlé pendant des mois. Quand j’ai commencé à étudier le théâtre à l'université, je me suis remis à beaucoup parler - et je n'ai plus arrêté depuis ! J'ai enrichi l'histoire d'Hammour Ziada de mes propres souvenirs."
"Muzamil a peur de nager dans le Nil ? Moi-même je ne nage jamais, ni au bord des plus belles plages, ni à la piscine. J'ai habillé Sakina, la mère de Muzamil, et la vieille dame du village comme ma mère et mes tantes s'habillaient pendant la période de deuil de deux ans : en noir pour l'une, en blanc pour l'autre. Quand Suleiman projette des extraits de films à Muzamil, c'est aussi le souvenir de mon oncle Rashed. Il travaillait en Arabie Saoudite avant de rentrer un jour avec un projecteur : il nous montrait des films sans jamais parvenir à faire marcher le son. Mais on adorait ça !"
Tu mourras à 20 ans montre comment une forte croyance peut affecter la vie des gens - et la façon dont cette foi peut être instrumentalisée politiquement. "Le gouvernement soudanais d'Omar el-Béchir a utilisé l'Islam pour faire taire le peuple - quand quelqu'un dit "C'est la parole de Dieu", plus personne ne peut parler... Mon film est une invitation à être libre. Rien ni personne ne peut vous dire : voici votre destin, il est écrit quelque part. C'est à vous de décider ce que sera votre vie. C'est ce que Suleiman essaye d'expliquer à Muzamil. Muzamil n'est pas allé à l'école. Sa mère s'en explique : à quoi bon apprendre s'il doit mourir ? Pourquoi perdre du temps à lire d'autres livres que le Coran ?", précise Amjad Abu Alala.
Amjad Abu Alala et son équipe ont tourné dans le village de son père. Globalement, l'équipe des décors n'a rien construit : il s'agit du le village tel qu'il est encore aujourd’hui. Le metteur en scène se rappelle : "La nouvelle se passait là où Hammour Ziada a grandi, au nord du pays, près de l'Egypte. Je lui ai dit que je voulais situer l’action chez moi, au centre du Soudan. Cela fonctionnait même mieux, parce que le soufisme, cet islam mystique opposé au salafisme, est très fort dans cette région : la cérémonie au cours de laquelle le derviche s'évanouit est un rite soufiste. Le village est à trois heures de route au sud de Khartoum. La région est située entre les deux Nil : le Nil Bleu, que nous voyons dans le film, et le Nil Blanc, qui se rencontrent à Khartoum pour former le Nil qui part vers l'Egypte."
Il n’y a aucune industrie cinématographique au Soudan. Quelques acteurs travaillent pour une toute petite production audiovisuelle ou pour le théâtre, mais jamais pour le cinéma. Amjad Abu Alala n'avait toutefois pas besoin d'acteurs professionnels pour tous les rôles de Tu mourras à 20 ans. Il se souvient :
"Pour Sakina et Suleiman, c'était nécessaire, les autres sont des non-professionnels. Pour Muzamil, j'ai rencontré 150 candidats, et à la toute fin de la seconde journée, Mustafa est apparu. Il a 21 ans, il travaille comme assistant médical mais veut se consacrer à la comédie. Il est intelligent, doué, et confondant de naturel. C'était le comédien que j'avais le moins besoin de diriger sur le plateau. La jeune femme qui joue Naima est mannequin au Soudan. Elle était bénévole au Festival de cinéma de Khartoum et j'ai été frappé par son énergie et son caractère : elle expliquait à des amis son combat contre un juge pour changer de nom. On a fait des essais le jour même, et c'était elle."
Les personnages de Tu mourras à 20 ans parlent arabe avec un accent soudanais : au Soudan, les influences arabes et africaines se mélangent. C'est pour cela, selon Amjad Abu Alala, que le cinéma soudanais a un avenir. Le cinéaste ajoute :
"C'est triste qu'un pays n'ait pas de cinéma national, mais c'est aussi une opportunité, parce que cela signifie qu'il y a beaucoup d'histoires qui n'ont pas été racontées. Et l'histoire du Soudan est très riche : l'histoire des pharaons, par exemple, est partagée entre l'Egypte et le Soudan. Mon film est seulement le huitième film de fiction jamais produit au Soudan. J'espère que nous pourrons le montrer à la prochaine édition du Festival de Khartoum, si la situation politique nous le permet. Et j'espère produire et réaliser d'autres films sur et dans mon pays. Je tente de produire un premier film sur la sécession du pays, en 2011, quand le Sud-Soudan est devenu indépendant : Goodbye Julia, qui sera réalisé par Mohamed Kordofani."