"Tu mourras à 20 ans" est le 8ème long métrage de fiction de toute l’histoire du cinéma soudanais. Il faut dire que le Soudan a vécu 30 années d’obscurantisme sous la férule de Omar el-Bechir. Avec la révolution qui a abouti en avril dernier à la destitution de ce dictateur, le cinéma soudanais sort de sa léthargie, au point que, en l’espace de deux mois, deux films soudanais sont arrivés sur nos écrans, des films aidés par d’autres pays au niveau de la production : le documentaire "Talking about trees" de Suhaib Gasmelbari et le film de fiction "Tu mourras à 20 ans" de Amjad Abu Alala. Agé de 37 ans, ce réalisateur et homme de théâtre soudanais est né à Dubaï et il y a passé les premières années de sa vie. Il a passé 5 années au Soudan durant son adolescence et il vit actuellement aux Emirats Arabes Unis. "Tu mourras à 20 ans" est son premier long métrage. Retenu dans la sélection Venice Days lors de la dernière Mostra de Venise, ce film s’est vu attribué le Prix Luigi de Laurentiis du meilleur premier film, l’équivalent de la Caméra d’Or du Festival de Cannes.
Dans ce petit village de la province d’Aljazira, un des fiefs du soufisme au Soudan, la venue du cheikh Al Khalifa fait figure d’événement. Sakina, la maman de Muzamil, veut en profiter pour qu’il bénisse ce très jeune fils dont le prénom a été choisi en l’honneur du prophète. « Je demande à Dieu qu’il fasse la joie de ses parents », proclame le cheikh alors que, dans le même temps, un des derviches qui l’accompagnent énumère ses louanges à dieu et s’écroule lorsqu’il arrive à la vingtième. « Sacrée est la volonté de dieu » : cet évènement inattendu est interprété comme la prédiction de la mort de Muzamil lorsqu’il atteindra 20 ans. Une prédiction qui va bouleverser la vie familiale et, tout particulièrement, celle de Muzamil, tiraillé entre son désir de servir dieu à l’école coranique, au point d’être le premier du village à pouvoir réciter le Coran selon les deux lectures de Hafs et d’Al-Duri, raillé par les gamins de son âge qui le surnomment « Fils de la mort », empêché d’avoir une vie amoureuse normale malgré l’amour que lui porte la très belle Naiema et amené à réfléchir sur le sens de la vie par Sulaiman, un homme du village passionné de cinéma, aimant boire et aimer, qui préconise à Muzamil d’essayer le péché (Comment se détourner du péché si on ne l’a jamais commis ?) et qui l’interroge sur l’utilisation de son cerveau : « Tu ne l’utilises pas pour penser ? Juste pour mémoriser des mots ? ».
Avec Muzamil et les 4 personnes proches de lui à un moment ou à un autre, le film présente un microcosme du Soudan d’aujourd’hui : son père qui, très vite après l’annonce de la prophétie, choisit de partir à l’étranger. Peut-être, comme il le dit, pour gagner de l’argent pour sa famille ; peut-être, aussi, pour ne pas avoir à supporter les effets délétères de la prédiction. Sa mère, qui croit dur comme fer à cette prophétie, qui pense que l’école n’apportera rien à son fils (A quoi bon apprendre s’il doit mourir ? Pourquoi perdre du temps à lire d’autres livres que le Coran ?) et qui revêt les habits de deuil bien avant la date fatidique ; Sulaiman, un homme libre, qui aime la vie, qui boit de l’alcool sans se cacher, qui aime le cinéma et qui, devenu une espèce de père de substitution pour Muzamil, aimerait voir ce dernier se détacher des superstitions et des commandements religieux. Naiema, la jeune fille amoureuse de Muzamil, une jeune fille entreprenante qui nous amène à penser que, au Soudan comme dans de nombreux endroits, la femme est l’avenir de l’homme. Quant à Muzamil, il représente le basculement qui est en train de s’opérer au Soudan, en jeune homme élevé dans l’obscurantisme et qui, aujourd’hui, s’éveille au monde.
Pour Amjad Abu Alala, « il est triste qu’un pays comme le Soudan n’ait pas de cinéma national, mais c’est aussi une opportunité, parce que cela signifie qu’il y a beaucoup d’histoires qui n’ont pas été racontées ». Si, grâce à toutes ces histoires, les futurs films de ce pays ont les mêmes qualités que "Tu mourras à 20 ans", le cinéma soudanais et les cinéphiles du monde entier ont de beaux jours devant eux.