Avec Ixcanul, Jayro Bustamante a placé le Guatemala sur la carte du cinéma mondial. Après Tremblements, légèrement en retrait, le dernier volet de sa trilogie sur les maux de son pays, La llorona, confirme son talent de mise en scène via une élégance constante de l'image et une narration hypnotique. Le film décrit le huis-clos dans la maison d'un général accusé de génocide sur la population maya, condamné puis absous mais soumis à la vindicte populaire sous ses fenêtres. Contrairement à la plupart des œuvres sur le thème des dictatures latino-américaines, La llorona s'intéresse non pas directement aux victimes, mais à leur bourreau, accompagné de sa petite famille, plus ou moins consciente de ses exactions. Un film politique mais qui peu à peu fait place au célèbre réalisme magique de la littérature sud-américaine avec l'irruption énigmatique de la llorona, cette légende qui fait d'une pleureuse le cauchemar surnaturel des assassins. C'est avec infiniment de brio, en empruntant certains codes du fantastique, que Bustamante réussit son pari d'évoquer la guerre civile au Guatemala et les massacres qui y eurent lieu, en s'éloignant du drame et en plongeant dans une matière onirique fascinante (à moins d'y être totalement insensible, ce qui est tout à fait possible). A l"heure d'un cinéma souvent frontal et premier degré, qu'il s'agisse de blockbusters avec ou sans super-héros ou de comédies, La llorona surgit comme une pépite poétique, qu'on aurait aimé d'une durée plus longue, pour apprécier davantage les portraits de ses personnages principaux : le général vieillissant et pathétique, son épouse, sa fille et sa petite-fille et, surtout, la domestique d'origine maya, au regard à la fois sombre et lumineux, comme un reproche vivant à ceux qui ont cherché à éradiquer le peuple indigène du sol guatémaltèque.