Si en regardant "Les incorruptibles", vous pensez voir un film historique, vous risquez d’être un peu déçus car quelques libertés ont été prises. La brigade légendaire qu’ont formée les incorruptibles a réellement existé au début des années 30, mais elle comportait dix membres et non quatre, avec à leur tête un très médiatique jeune agent de 26 ans qui obtint carte blanche de la part du procureur pour boucler le célèbre Al Capone. Les libertés prises par rapport à la réalité sont sans aucun doute les raisons qui ont catalogué ce film dans le genre policier plutôt que dans le genre historique. Qu’à cela ne tienne, le film de Brian de Palma est une réussite. Dès le générique, nous avons affaire à une musique absolument géniale de l’inimitable Ennio Morricone, à la fois sérieuse et rythmée, une musique qui laisse entrevoir l’ambiance qui va régner sur l’ensemble du film : un vrai polar nerveux, tendu et haletant. Mais l’excellence de la partition du célèbre compositeur ne s’arrête pas là. Tour à tour nous avons droit à des morceaux plus enjôleurs pour accompagner le bonheur d’une vie de famille, et à des sonorités qui reflètent parfaitement bien le luxe des décors de l’opéra. Seulement la musique ne fait pas tout : la réalisation de Brian de Palma est quasiment sans défaut. Bien que le ralenti utilisé pour la fusillade du hall de gare parait trop important (peut-être pour signifier que la notion du temps n’existait plus), elle est sobre, efficace, utilisant plusieurs techniques de prises de vue comme la contre-plongée ou la plongée. C’est d’ailleurs sur un magnifique plan en plongée que le film débute, avec une entrée en scène fracassante de Robert De Niro (Al Capone) au cours de laquelle un joli résumé de la psychologie du personnage est fait. C’est clair, concis, net et précis, avec une allusion au surnom donné au truand en raison de cette entaille donnée malencontreusement par le barbier. Dans les faits, il a contracté cette balafre à l’âge de 16 ans. Peu à peu, nous découvrons le reste du casting, et il faut avouer que le succès du film est dû aussi à sa prestigieuse distribution : en plus de Robert De Niro décidément très à l’aise dans les rôles de crapule, nous avons un Kevin Costner très impliqué, un charmant Andy Garcia avec son sourire ravageur de latino lover, un Sean Connery plus britannique que jamais sous les traits d’un policeman arpentant les rues en long, en large et en travers, muni de sa matraque pour le moins menaçante. Pas étonnant qu’il ait eu l’Oscar du meilleur second rôle masculin pour ce film. C’est d’ailleurs ce dernier qui amènera les scènes les plus singulières, en particulier lors de sa rencontre pour le moins étonnante avec Eliot Ness. Une rencontre qui prête à sourire tant elle est plaisante. Au milieu de toutes ces célébrités, il y en a un qui tire bien son épingle du jeu : il s’agit de Charles Martin Smith dans la peau d’Oscar Wallace. C’est donc dans une reconstitution parfaite des années 30, tant au niveau des décors et des véhicules que des costumes et des accessoires, que nous suivons sans aucun ennui la lutte difficile de ces quatre hommes contre un truand qui se définit plus comme un homme d’affaires bienfaiteur qu’autre chose, une lutte rendue difficile d’une part par la capacité de Capone d’une part à emporter l’adhésion de la population avec son beau parler très théâtral (ou démonstratif, comme vous voudrez) et donc très médiatique, et par cette immunité inavouée que les pouvoirs publics et locaux lui accordent grâce aux nombreux investissements utiles à la ville d’autre part. D’autant plus difficile et périlleuse que l’homme est protégé en toute discrétion par un homme de main terriblement efficace, interprété avec un diabolisme faisant froid dans le dos par un très convaincant Billy Drago. Force est de constater que près de trente ans après, "Les incorruptibles" n’a pas vieilli d’un poil, et cette merveille cinématographique reste encore à ce jour un des modèles du genre en matière de films de gangsters. Mis à part le ralenti lors de la scène du hall de gare (scène que nous devons à un manque de budget et je vous invite à lire le pourquoi dans les secrets de tournage), tout est parfait : musique (c’est presque un scandale que Morricone n’aie pas eu l’Oscar), casting, mise en scène, décors (nominés aux Oscars), costumes (en course aussi pour la récompense suprême), montage et photographie.