« ANTIGONE », LORSQUE LE MILITANTISME « PROGRESSISTE » DÉVOIE LA NOTION DE JUSTICE !
Sorti premièrement au Canada (son pays d’origine), le 8 novembre 2019, « Antigone », de Sophie Deraspe, sort à présent dans les salles françaises ce 2 septembre 2019.
synopsis :
Antigone est une adolescente brillante au parcours sans accroc. En aidant son frère à s’évader de prison, elle agit au nom de sa propre justice, celle de l’amour et la solidarité. Désormais en marge de la loi des hommes, Antigone devient l’héroïne de toute une génération et pour les autorités, le symbole d’une rébellion à canaliser.
Dernier film de la réalisatrice, scénariste et monteuse Sophie Deraspe, considérée comme l’un des grands talents de l’actuelle génération du cinéma canadien, « Antigone » est l’adaptation (très) libre, non pas de la pièce classique de Sophocle, mais de la version de Berthold Bretch que lui-même a faite en 1948 à partir de l’adaptation d’un autre grand allemand, à savoir Friedrich Hölderlin (1770 – 1843).
Comme à son habitude, ce n’est pas tant son talent de réalisatrice (si ce n’est celui de savoir diriger ses interprètes – la prestation épatante de Nahéma Ricci, qui joue le rôle titre est le seul très bon point de cet « Antigone ») qui transparaît dans ce cinquième film (mais quatrième fiction) de Sophie Deraspe, bien que, contrairement à tous ses précédents films, cet « Antigone » ressemble tout de même, pour une bonne part, à un vrai film et non pas à un documentaire, comme la cinéaste nous y a toujours habitué. Malgré tout, il y a encore trop de visuel à la documentaire dans cette fiction (particulièrement dans la façon de montrer les réactions de l’opinion publique…en fait, de la « jeunesse », qu’elle porte au nues – et sur quoi nous reviendrons tant c’est là l’un des principaux reproches que nous faisons à la réalisatrice) et, ce qu’il y a de visuellement véritablement cinématographique dans « Antigone » reste très peu inspiré et d’une grande…rareté – avec une seule ébauche d’idée esthétique de la part de Sophie Deraspe, dans la façon de filmer la scène d’amour (qui, ici, est, en effet, du domaine de l’amour et non pas de scène de sexe gratuite).
Vous le comprendrez donc, ce n’est pas pour voir un film au cadrage inventif et esthétique que l’on va voir les films de Sophie Desarpe et qu’elle a acquis autant de notoriété et de récompenses.
Non ! Ce qui donne à cette réalisatrice ce statut de « talent du cinéma canadien », c’est le contenu, le propos « progressiste » de ses films.
Et SON « Antigone » n’échappe, hélas, pas à la règle, allant même jusqu’à la « bien-pensance bobo-gauchiste » dans tout son superficiel manichéisme. En cela, c’est une première pour Sophie Deraspe qui, jusqu’à présent, avait réussi a éviter cette écuelle. Mais, comme c’est très généralement le cas, à force de faire dans le militantisme on finit par tomber dans la complète simplification de la réalité des choses.
Alors, en quoi consiste ce manichéisme que nous reprochons tant à ce film de Sophie Deraspe, au point de ne lui donner notre (presque) plus mauvais avis (juste au-dessus de celle donnée au très idéologiquement similaire « The old guard », produit par Netflix et sorti le 10 juillet dernier) ?
Et bien, nous aurions tendance à dire… TOUT !
Le synopsis d’ « Antigone » affirme que celle-ci agit « au nom de sa propre justice, celle de l’amour et la solidarité ». Déjà, avant de dire ce que nous raconte le film, rappelons que pratiquer « sa propre justice » n’a JAMAIS et ne sera JAMAIS un acte juste ! Les justiciers, en réalité, ça n’existe pas ! L’Humanité veut croire en une justice plus juste que la Justice d’État elle-même, mais c’est, en réalité, dû à ce sentiment égocentrique qui fait dire à chacun qu’il fait partie des « gens bien » et que, à ce titre, cela donne le droit de devenir un monstre envers qui ne pratique pas ce « bien » qui n’est, pourtant, que l’idéologie une époque et d’un lieu ! C’est ce sentiment égotique qui conduit, par exemple, au nom de la défense des animaux, à se réjouir de la mort d’un chasseur, qui n’en reste pas moi un être humain (et, se réjouir de la mort d’un être humain n’est pas autre chose que d’être « quelqu’un de mal »).
Qui plus est, l’Antigone de ce film nous est présenté comme une personne n’étant « qu’amour et solidarité » ! Mais en quoi cette jeune fille vit-elle selon ces deux valeurs, elle qui, après avoir appris que son frère aîné qui se fait tué par la police et son autre frère – dont elle prend la place à la prison, lors d’une visite de parloir, afin qu’il puisse s’échapper et quitter le Canada pour fuir la Justice du pays en passant aux USA – étaient tous deux membre d’un cartel de trafic de drogue, pratiquant aussi le tabassage de personnes innocentes, y compris des « gamins » !? Où est l’amour du prochain et la solidarité envers de véritables victimes dans son entêtement face à la Justice ?
Cette Antigone n’est, en réalité, que dans le sentiment de « fratrie mafieuse » ! En cela, elle n’est plus du tout dans la ressemblance de l’Antigone tant de Brecht, d’ Hölderlin ou de l’originale de Sophocle ! La figure d’Antigone défiant la « justice de lois sans fond » de Créon est de celle qui réclame une justice qui ne soit pas excessive – Créon ayant interdit d’enterrer les deux frères d’Antigone qui se sont entre tués pour monter sur le trône de la cité de Thebes. Antigone violait donc la loi mais sa volonté de pratiquer les rites religieux de funérailles, pour respecter les dépouilles de ses frères, ne contrevenaient, en fait, nullement à une « Justice Juste », bien au contraire !
Mais le militantisme « bobo-gauchiste » de la réalisatrice Sophie Deraspe réside dans ce message pitoyablement victimaire de « les délinquants, lorsqu’ils tombent sous les balles des bavures policières, sont de pauvres victimes et la police comme la Justice d’État est d’office totalitaire, voire fasciste ». Ce discours est d’autant plus victimaire que, dans cette version cinéma d’ « Antigone », cette dernière est venue du Maghreb avec sa grand-mère et ses trois frères et sœur, après que leurs parents ai été tués par les fanatiques, dans leur pays d’origine. Nous avons donc, ici, « les pauvres immigrés musulmans » dont l’État occidental où ils vont se réfugier, sans papiers, se montre injuste en emprisonnant l’un des leurs qui est une « petite frappe » de délinquant. Il semble que rien ne soit jamais trop, pour la réalisatrice, dans la surenchère de drames vécus par ses « héros », pour provoquer la pitié du spectateur, qui lui fera prendre partie pour l’idéologie qu’elle veut défendre (celle d’États occidentaux racistes et dictatoriaux par nature envers les immigrés !
Et comme si Sophie Deraspe n’avait pas déjà été assez loin dans le « progressisme humaniste », elle fait de son Antigone l’héroïne de toute la jeune génération, qu’elle montre se moquant de la Justice et de ses représentants (la scène du procès où il n’y a que des jeunes qui se moquent du règlement de la cours, où la réalisatrice se montre, sans équivoque, de leur côté est la plus éloquente dans ce discours de « Nous, la jeunesse, nous sommes ceux qui savons vraiment ce qui est juste et ce qui ne l’est pas et, de ce fait, il est normal que nous vous défions, vous et le vieux monde raciste, injuste, etc.. »).
Alors, quand on est pas capable de faire un film esthétiquement bien réalisé, qui peut, au moins, permettre de profiter d’un moment agréable, et qu’on préfère faire un film de qualité par rapport à la réflexion qu’il amène à l’esprit de quiconque le regarde, on ne fait, surtout pas, cet « Antigone », qui n’est qu’un film de propagande sois-disant progressiste !
Christian Estevez
N.B.: critique publiée sur "FemmeS du Monde magazine" le 31 août 2020.