Décidément, à l’heure actuelle, ce sont des réalisateurs issus de pays de tradition musulmane qui abordent avec le plus de savoir-faire et d’intelligence du propos les questions morales et les dilemmes qui en découlent. Après l’iranien Asghar Farhadi et le turc Nuri Bilge Ceylan, voici un jeune cinéaste tunisien qui signe là un premier long-métrage remarquable à tout point de vue.
À vrai dire, on peut émettre un petit bémol au sujet de la scène d’ouverture du film, la caméra ayant une fâcheuse tendance à bouger sans arrêt. Mais, dès qu’on entre dans le vif du sujet, ce désagrément non seulement n’est plus de mise mais on est saisi par la qualité des images et de la mise en scène. Le réalisateur a choisi, il faut le préciser, un couple d’acteurs incarnant leurs personnages respectifs avec une justesse et une intensité qui ne peuvent laisser de marbre.
Nous sommes en 2011 et Fares (Sami Bouajila) et Meriem (Najla Ben Abdallah) forment ce couple de parents modernes séjournant dans le sud de la Tunisie avec leur garçon de 10 ans prénommé Aziz. Or, au cours d’une escapade en voiture, tous trois sont les cibles d’une attaque terroriste au cours de laquelle Aziz est grièvement blessé. Amené à l’hôpital, le garçon est sauvé, mais doit bénéficier au plus tôt d’une greffe de foie, sans quoi il ne pourra survivre.
Bien sûr, ses parents se portent volontaires.
Mais les analyses effectuées sur chacun d’eux ne donnent pas les résultats escomptés. Le film propose dès lors une succession quasi ininterrompue de dilemmes moraux qui en disent long non seulement sur les personnages directement impliqués, mais aussi sur la société tunisienne dans son ensemble. Car Mehdi M. Barsaoui ne craint pas d’aborder de front des sujets qui restent plus ou moins tabous dans un pays encore fortement régi par des traditions et des lois résultant de la religion musulmane. C’est le cas, en particulier, dans le film, de l’adultère (toujours passible d’une peine de prison en Tunisie) mais aussi du don d’organes, une pratique qui reste occultée dans les conversations et les discours tout en donnant lieu à des trafics sordides dont profitent des gens peu scrupuleux qui opèrent là où se déroulent des conflits armés (en l’occurrence à la frontière libyenne).
Le film propose aussi une réflexion des plus intéressantes sur la question de la paternité. Qu’est-ce qu’un père ? Qui est le vrai père, lorsque celui qui élève un enfant n’est pas le père biologique ? Dans le film, Sami Bouajila incarne à merveille ce père blessé dans son orgueil et cependant capable de tous les dévouements pour l’enfant qui risque de perdre la vie. Entre l’homme à la fierté rabaissée et sa femme peu encline à fouler aux pieds sa dignité tout en étant, elle aussi, apte à tous les sacrifices pour le salut de son enfant, les regards importent plus que les paroles.
Ils ouvrent, semble-t-il, en fin de compte, sur un nouveau départ.