On se surprend toujours de la spontanéité. C’est d’ailleurs la base même d’un personnage qui développe ses contradictions, afin de lutter contre sa maladie. Klaudia Reynicke rassemble alors tout ce qu’elle peut autour de cette femme, dont la lutte intérieure lui donnera une seconde chance dans une vie bouleversante. Elle nous apparaît ainsi comme une super-héroïne, en puisant dans cette folie qui l’habite et qui la déconnecte d’une certaine réalité. Elle nous embarque, avec beaucoup d’autorités et de maîtrises, dans le « monde extérieur », dont la richesse lui explosera aux yeux, seules choses qu’elle ne peut masquer dans son armure en lycra. L’intention est d’autant plus touchante, qu’elle raconte bien plus sur les raisons de vivre que de l’agoraphobie, simple catalyseur d’une démarche très convaincante.
Plus de parents, pas d’amis donc plus de soutien moral ou mental pour Seconda, qui joue la carte de la survie à base de conserves peu savoureuses et d’un conflit avec un chat, apparemment trop gâté. Il se dégage alors un humour noir de cette grande fille, qui a tout d’un enfant, hormis une conscience plus proche de son extinction. Son rapport à l’isolation prend un nouveau sens à la disparition de tout contact humain, chose qui l’effraye, mais qui la maintenait en vie. La gestion de ses émotions devient une affaire dérangeante, mais reste perceptible en surface. On s’appuie sur ce que corps de Segunda peut bien raconter, car malgré un grand dysfonctionnement dans les grands espaces, elle possède une profonde maîtrise de ses membres, de sa chair et de son âme. Autrement dit, elle est à même d’accomplir tous ses désirs. Mais elle ne réagit qu’à partir de la provocation de trop, comme si elle attendait un appel ou un défi à travers sa fenêtre.
Cela commence d’abord par le biais d’un répondeur, monopolisant l’attention de cette fille qui trouve le temps de s’échapper, malgré le sens unique de la communication. A la suite de quoi, elle finira par tutoyer son monde et notamment les personnages masculins qui l’entourent. Certains sont lâches, orgueilleux ou simplement pervers. Malgré cela, elle repousse tous les assauts de ces derniers grâce à sa fragilité, qu’elle empoigne telle une arme aiguisée. Sa tenue moulante la réconforte ainsi à chacune de ses expéditions, où elle les justifie par des prétextes raisonnables et audacieuses. Cette seconde peau éveille également son instinct primitif, qu’elle saura exprimer par la danse notamment. Il s’agit d’une succession logique des événements qui lui rappelle ô combien la chance qu’elle possède, au détriment de sa sœur aînée. Elle finit par y trouver un goût que l’on estimerait archaïque ou même trop simpliste. Mais à quoi se réfère cette notion de normalité ? Le film y répond avec un amas de nuances, dont la comédienne Barbara Giordano s’en acquitte avec une énergie des plus revigorantes.
Cette douce, folle et tendre aventure trouvera tout de même grâce aux yeux d’un public peu averti ou dans la même ignorance que l’héroïne, dont la féminité se révèlera décisive dans son parcours. La réalisatrice péruvienne a pris soin d’injecter toute la noblesse de son discours et « Love Me Tender » témoigne de tout cet espoir que chacun peut saisir, dans le déni ou le pardon. Les murs qui la privaient de liberté et d’indépendance sont maintenant une histoire qui remonte à une autre époque. En acceptant, une part de sa personnalité, elle accepte également de laisser plus de place à l’imprévu, avec qui elle parvient à cohabiter et à ronger, juste pour le plaisir de pouvoir le faire au moins une fois dans son existence.