Trois ans après Contes de juillet, Guillaume Brac a collaboré une nouvelle fois avec des élèves du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris. Contrairement à Contes de juillet qui a vu le jour par hasard, À l’abordage est né de l’invitation de la directrice du Conservatoire, Claire Lasne-Darcueil, d’écrire un long-métrage à destination d’une promotion d’étudiants, avec plus de temps et de moyens. Le réalisateur explique ce qui l’a emballé dans le projet : « J’ai compris également que cette promotion, dans son esprit et sa composition, était l'aboutissement du travail de Claire Lasne-Darcueil pour ouvrir le Conservatoire, longtemps réservé à une certaine élite sociale, et faire en sorte qu'il reflète de manière plus juste la société française. Je me suis dit alors que le film raconterait quelque chose sur la, ou plutôt les jeunesses françaises, comment elles en viennent à cohabiter et à se découvrir. Et qu’il se nourrirait des parcours, des personnalités de chacun, que la fiction prendrait ses racines dans une matière documentaire. »
Plutôt qu’un casting classique, Guillaume Brac a organisé de longs entretiens avec chacun des trente comédiens de la promotion. À l’issue de ces rencontres, il a choisi douze d’entre eux et a mis en place un atelier de trois semaines, huit mois avant le tournage. Il leur a notamment demandé pendant cet atelier de raconter, face caméra, leur premier baiser ou un épisode gênant de leur vie, avec la possibilité de mélanger réalité et fiction. À partir de leurs histoires et de situations improvisées qui leur ont été données à jouer, Brac et sa co-scénariste Catherine Paillé ont trouvé les grandes lignes du récit et ont dessiné les contours de leurs personnages.
Les deux premiers rôles d’À l’abordage sont incarnés par des acteurs noirs, Éric Nantchouang et Salif Cissé. Guillaume Brac raconte : « Ils se retrouvaient face à un réalisateur blanc de vingt ans de plus qu’eux qui leur offrait les deux rôles principaux d’un film. Ils se demandaient pourquoi, et ce que j’allais raconter d’eux. » Si pour les comédiens, être noir ne devait avoir aucune influence sur le film, le réalisateur n’était pas du même avis : « Dans notre pays, dans la société telle qu’elle est aujourd’hui, ce serait une faute d’éluder complètement la question raciale et sociale, qu’elle devait nécessairement exister d’une façon ou d’une autre. Là où je les rejoignais, en revanche, c'est que ça ne devait surtout pas être le sujet du film, et que les personnages que j’allais leur écrire seraient traversés par des sentiments et des émotions exactement comme les autres ». Il leur a fallu trouver un équilibre fragile pour que ce soit un sujet, sans que ce ne soit non plus LE sujet du film. Brac conclut : « J’ai fait en fin de compte quelque chose d’assez simple : introduire des personnages noirs dans ce cinéma français du sentiment, héritier, pour simplifier, de la nouvelle vague, qui est encore aujourd’hui presque exclusivement blanc. »
Guillaume Brac admet que ses tournages sont très chaotiques, car il ne cesse de tâtonner et de s’interroger sur le plateau. À ses yeux, filmer une chute ou une scène plus intimiste revêt la même importance : « ça part d'une exigence de vérité : à quoi est-ce que je crois vraiment ? […] Il n'y a pas de petite scène ou de grande scène. Certains réalisateurs, pas forcément ceux qui m’intéressent le plus, filment des situations, voire des intentions. Pour ma part, j'ai toujours essayé de capter des moments, et un moment ça embrasse tout : le lieu, la vie dans ce lieu, l'heure de la journée, la lumière, l'humeur des comédiens, les liens entre eux. »
Le bébé que l’on voit dans le film n’est autre que la fille de Guillaume Brac : « j'avais très envie de filmer ce moment de la vie de ma fille, d’en garder une trace. Symboliquement, sa présence a beaucoup compté pour les acteurs, qui ont senti mon implication dans le film : moi aussi je mettais quelque chose de ma vie, et même ce que j’avais de plus précieux. »