Vacances romaines: ce pourrait être une simple comédie romantique. Mais c'est finalement une de celles qui sort du lot. D'habitude celle qui sortent du lot le doivent à leur réalisateur (Wilder, Allen, Lubitsch, McCarey, Cukor...). Cependant, si la réalisation est soignée, on ne peut pas dire que la réalisation de Wyler suffise à expliquer la magie qui se dégage du film, quant à l'humour bien que présent, il n'est pas de la même qualité que dans les films de Lubitsch ou Wilder. Cependant il faut reconnaitre à Wyler plusieurs idées de génie et courageuses:
- tourner à Rome, dans les rues de la ville et non en studio, suivant l'exemple du cinéma italien qui se développa à toute allure après la Seconde Guerre mondiale.
- accepter de travailler sur le scénario de Trumbo alors que celui-ci était mis au ban d'Hollywood, il est d'ailleurs très intéressant d'étudier le film dans une optique marxiste, on s'aperçoit alors que la fin était cousue de fil blanc, les classes sociales enfermant les personnages sans possibilité de construire des ponts.
- associer Peck et Hepburn. Le personnage de la princesse était parfaitement adaptée à ne inconnue puisque c'est d'abord son innocence, sa méconnaissance du monde, son absence de rapport aux autres qui la définissent. Mais en choississant une inconnue, Wyler et son équipe ont trouvé la perle rare. Premier film Hollywoodien et premier oscar. Il faut aussi noter l'intelligence de Peck qui sut comprendre assez vite qu'il ne pouvait être que le faire valoir de Hepburn, et sut adapter son jeu pour lui laisser la lumière, même son inspiration lors de la scène devant 'la bouche de la vérité" ne sert qu'à laisser éclater le naturel du jeu d'Hepburn.
Et puis il y a l'accord absolu entre le sujet et son fond qui donne à cette œuvre un pouvoir émotionnel très singulier et lui permet d'avoir une résonance dans notre quotidien que peu de films ont. On va au cinéma pour pendant deux heures oublier le reste, pour s'évader, pour voir de belles choses, s'identifier à des héros, voyager au milieu des monuments ou des paysages. On va au cinéma pour faire comme Jo et Ann, prétendre pendant un temps qu'on sait limité, prétendre en sachant qu'après il faudra retourner à la réalité, prétendre que tout est possible, qu'une princesse et un journaliste peuvent s'épouser. Et le film devient une réflexion sur le genre de la comédie romantique, genre où tout est possible, et le film montre le retour au réel. Retour lent comme ce dernier travelling arrière où plus que Joe qui laisse derrière lui ses illusions, c'est le spectateur qui quitte la salle pour retourner vivre sa vie de tous les jours. Joe est d'ailleurs l'exemple du personnage auquel le spectateur peut s'identifier, un vrai monsieur tout-le-monde.
Il y a donc un lien unique à ce film entre les émotions du spectateur et des personnages. Et à partir de là, on peut commencer à étudier les sentiments des personnages et la vision de l'amour que le film propose, une vision pessimiste. Pourquoi Joe ne rédige-t-il pas l'article? Est-ce le grand amour qui l'en empêche? L'amour l'a changé et maintenant il n'est plus le même? Voici une version joyeuse, qui nuance la fin triste par un certain optimisme: ce sont les classes sociales et l'omniprésence des apparences dans la société qui empêchent le grand amour de se concrétiser bien que celui-ce existe.
A vrai dire, diverses raisons me font opter pour une interprétations bien plus mélancolique, pessimiste. D'abord, à quel moment le film laisse-t-il entendre qu'il s'agit du grand amour? L'unité de temps est moins là pour ancrer le film dans un genre de drame romantique précis que pour en faire la critique, la critique de tout ces films ou pièces où les amants meurent d'amour alors qu'ils se sont vus deux fois. De leur amour amour, nous avons le droit à deux baisers et une ellipse suggestive. Et rien qui pousse la princesse à revenir sur sa résolution de retourner au palais. On peut penser que si amour il y avait, elle serait peut-être restée jusqu'au matin et que la nuit aurait été l'occasion d'une autre ellipse suggestive.
Plus encore, interrogé par son ami photographe, Joe ne dit pas qu'il l'aime, lui-même ne semble pas savoir ce qu'il ressent. En fait, ils s'agit pour eux de fuir dans un monde où l'amour, le vrai existe et de retour à la réalité, il ne reste plus grand chose, en tout cas pas assez pour oublier les distinctions sociales. Alors Joe va faire ce qu'il peut pour maintenir l'illusion du grand amour en refusant de publier l'article. Il s'agit moins de confirmer qu'il est amoureux que de se convaincre qu'il est amoureux. On est ce qu'on fait. Par cette preuve d'amour, Joe échappe au néant mélancolique du monde où tout les sentiments deviennent douteux dès lors qu'ils sont passés. C'est cette mélancolie existentielle qui fait de Vacances Romaine un chef d’œuvre. Le spectateur est invitée à reconsidérer sa propre vie, et ses actions, pour voir ce qui dans le temps subsiste, dure, et justifie la beauté de la vie. Un peu comme ses monuments romains qui tirent leur grandeur de leur subsistance au temps alors qu'ils paraissaient bien quotidien à leur création.
Les dialogues de la scène finale touchent au sublime. Enfermé dans le vocabulaire que leur fonction leur impose, Ann et Joe se disent leur amour par d'infimes nuances que seuls eux peuvent percevoir: "Thank you so very much" dit Ann et le "so" veut dire qu'elle ne l'oubliera jamais. Amour qui a les apparences de l'amour fou, mais qui ne changera rien. Chacun retournera à sa vie. Et pour continuer de croire que cet amour fut l'amour et non une simple aventure, il en restera quelques traces: pour Ann un souvenir qu'elle ne pourra jamais partager, pour Joe une dette et l'impossibilité de payer un avion pour quitter Rome.
Amour fou, aventure sans lendemain: entre les deux le sillon existentiel de la vérité des sentiments.
Et voilà, le spectateur a rêvé deux heures, il peut maintenant partir, libre à lui de se souvenir et de se laisser hanter par les questions du film, ou de les ignorer comme il ignore tous les messages des films, parce que c'est du cinéma, que c'est pas la vraie vie et que donc ça, le cinéma, ça ne pourra jamais rien dire d'intéressant pour soi au quotidien. D'ailleurs, aucun philosophe n'est cité pendant le film, et il n'y a aucun dialogue qu'on puisse citer dans une dissertation... Alors c'est forcément idiot, non? Juste du divertissement? Non?