Autant vous dire qu'au moment de revisionner cette "Gueule d'amour", je partais vers l'inconnu, n'ayant plus du tout de souvenirs de ce que j'avais pu en voir une dizaine d'années auparavant. Une fois le film lancé, le temps de 10 minutes (les dix premières, quoi), je me suis réellement demandé ce que je foutais là. Je n'arrivais pas à me plonger dedans. Et puis, sans que je ne m'en aperçoive, la magie a opéré. J'y ai vu un film merveilleux, mais aussi sombre et hélas terriblement réaliste. La chute de cette histoire est connue d'avance, mais on ne peut pas ne pas avoir de compassion pour ce militaire qui, par amour pour une femme, va se détruire petit à petit, jusqu'à arriver au geste de trop. En plus de ça, le film insiste assez fortement sur le fait que, lorsqu'il était militaire, Bourrache était "gueule d'amour" aux yeux de tous, tout le monde le regardait (surtout les femmes), tout le monde le traitait avec respect, alors que de retour dans la vie civile, il n'est plus que Bourrache, ou Lucien pour les intimes et le monde ne lui fait alors plus aucun cadeau. Voir un personnage aussi attachant dégringoler, aussi bien mentalement que physiquement ne laisse pas indifférent. Les dialogues sonnent juste, la mise en scène de Grémillon très propre et l'interprétation est remarquable. Il y a bien sûr Mireille Balin, femme fatale exquise, mais aussi et surtout Jean Gabin, en mode royal. Jamais il ne s'est montré aussi touchant et fragile que dans ce film. Sa voix, à la fois naïve et mélancolique vous va droit au coeur. Ici, il est cet homme vers lequel vous avez envie de vous avancer pour le serrer fort dans vos bras et lui dire que, même si vous ne le connaissez pas, il est votre pote et que vous ne voulez pas le voir sombrer. Voilà, malgré dix premières minutes difficiles (en tout cas pour moi), j'applaudis des deux mains.