Très bon film de Jean Grémillon.
Moins connu que ses œuvres ultérieures considérés à juste titre comme des films clés de l'histoire du cinéma français, ce film s'inscrit dans la veine romantico-réaliste des années 30, dont Jean Gabin était en train de devenir le héros mythique avec Duvivier, Renoir et Carné...
Postérieurement, Grémillon avait essuyé de nombreux échecs injustes - cf à La Petite Lise, incompris- et s'était réfugié dans la réalisation d’œuvres de commandes indignes de son talent, qui éclate superbement ici. Le film n'a pas vieillit techniquement, la photographie est superbe et surtout Grémillon filme avec une modernité étonnante.
Scénaristiquement bien structurée sur un roman fort d'André Beucler, adapté par Charles Spaak, le sens de l'image et de la direction d'acteur de Grémillon permet une analyse et dénonciation virulente de la lutte des classes par l'intermédiaire d'une histoire d'amour passionnelle entre un simple et naïf soldat devenant ouvrier (Jean Gabin) et une riche parvenue entretenue en mal d'amour (Mireille Balin). A cet égard, les scènes entre Gabin, Balin, le majordome et la belle-mère (talentueuse Marguerite Deval) sont très réussies, dialoguées avec brio par Spaak.
Chacun des personnages ont leur motivations respectives, bonnes ou mauvaises mais ils ont un but qu'il nous est donné à comprendre et non de juger. Gabin et Balin nous emportent dans ce tourbillon de passion que l'on pressent funeste ou tragique. Ils sont tous deux remarquables. Lui, charismatique et excellent dans l'émotion et la sensibilité -Gabin est et restera un mythe car il a su être tout le monde et jouer sur toutes la palette des sentiments rencontrés dans la vie d'un homme, en ce sens son digne héritier c'est Depardieu- ; elle, belle, cynique, vénéneuse mais déchirante parce qu'en proie à la vacuité désespérée de son existence qu'elle tente de comblée par un amour qu'elle sait impossible...
L'autre beau personnage, le plus étonnant, c'est celui de l'ami de Gabin, joué par René Lefèvre, un peu insignifiant au départ, mais qui révèle sa force dramatique dans la dernière partie du film. Lui aussi, jouet de Balin, est involontairement celui qui permet au tragique d'advenir; Mais c'est lui qui permet la rédemption du personnage de Gabin, au nom de leur amitié profonde, mais aussi parce qu'il est paradoxalement le personnage le plus lucide, eut égard à sa propre naïveté... Il ne juge pas son ami, peut-être aurait-il fait de même...
Les dernières scènes sont magnifiques.d'intensité, où l'on ressent la profondeur définitive et fatale de leur amitié, qui laisse penser qu'il ne s'agit plus d'un simple sentiment amical, mais de bien au-delà...
Grand film !