Pour mon deuxième western, j'ai mis la main sur "L'homme des vallées perdues" (1953), film réputé mythique et dont l'aura n'est plus à démentir. Eh bien, j'en suis ressorti agréablement surpris après ma pseudo-déception de "La rivière rouge" avec John Wayne.
Tout d'abord, il faut préciser que George Stevens adapte le roman à succès de Jack Schaefer intitulé "Shane". Grâce à "Shane"/"L'homme des vallées perdues", le metteur en scène, qui était sur la pente descendante, se refait une petite place au soleil. Ses quatre derniers films sont "Géant" (avec l'inoubliable James Dean), "Le journal d'Anne Frank" (qui lui permet de renouer avec l'horreur de la guerre), "La plus grande histoire jamais contée" (en compagnie de Charlton Heston) puis "Las Vegas, un couple" (avec la reine E. Taylor). "Géant" marqua ainsi l'apogée de deux grandes figures du septième art (Stevens et Dean).
Histoire de "L'homme des vallées perdues" : une famille de petit propriétaire s'allie à un étranger venu de nulle part (Shane) pour lutter contre le remembrement des terres. Le scénario, dans ses méandres bien rattachés entre-eux, rend un vibrant hommage aux pionniers venus s'installer dans le Wyoming. Les colons (ici, la famille) font face aux ranchers cupides et avares. Dans le rôle du grand patron, Emile Meyer (revu chez Kubrick dans "Les sentiers de la gloire") est convaincant à souhait car il défend son opinion avec âpreté et toute la rage qu'il a de vouloir gagner ce combat à tout prix. Un rôle sur-mesure qui permet justement d'asseoir le contexte social de la fin de la Guerre de Sécession. Contexte renforcé aussi par la famille qui veut garder son lopin de terre pour pouvoir survivre. Van Heflin (une figure du western des 50's : "Tomahawk", "Trois heures dix pour Yuma"...) impeccable, Jean Arthur (faisant un come-back remarqué, elle avait joué avec Capra et Hawks au tout début du parlant) parfaite et Brandon De Wilde (qu'on retrouvera dans "L'ange de la violence" de Frankenheimer), à la limite du supportable, incarnent cette famille modèle bouleversée par l'arrivée inopinée de l'étranger Shane campé à merveille par un Alan Ladd (déjà remarqué dans "Citizen kane", "Tueur à gages" et "Le dalhia bleu" !!), certes très théâtral mais qui en impose du début à la fin. Ladd, qui non seulement apporte le grain de folie mais qui reste bien terre-à-terre dans l'évolution de son personnage. Lorsqu'Emile Meyer se rend compte de la difficulté de faire déguerpir tous ces petits fermiers, il prend la décision d'engager un tueur à gage, qui n'est autre que Jack Palance (consacré, il tournera dans "Le grand couteau" d'Aldrich, "Le mépris"...). Un de ces seconds couteaux en or, inoubliable et mémorable. Une véritable trogne de vallée perdue ! Super Jack !!!
Cette ossature (gentil-méchant-étranger-tueur à gage), bien que manichéenne dans l'ensemble, permet au western de se trouver un peu, et même plus : d'ancrer une typologie de scénario complexe dans des rapports psychologiques trouvés (fermiers vs propriétaires, un étranger un peu héros qui remplace le père, et son autre penchant avec le tueur à gage incarné brillamment par un Palance dans toute sa splendeur). Notons aussi la présence de Ben Johnson, autre vétéran du genre : "Le prisonnier du désert", "Les Cheyennes", "La horde sauvage"... !!
De plus, ce pur produit western nous montre de superbes beaux paysages rattachés à une image en Technicolor parfaite et millimétrée du début à la fin. Très beau travail Loyal Griggs !! Présent sur "Les dix commandements" et "Du sang dans le désert" d'Anthony Mann notamment. Cette photographie, appuyée d'une musique onctueuse et moderne de Victor Young (auteur pour de grands classiques du cinéma : "Pour qui sonne le glas" avec Gary Cooper, "Rio Grande", "L'homme tranquille"...), nous met dans l'ambiance voulue par George Stevens. Le metteur en scène fait avancer son métrage, un coup dans la nuit et un coup de jour, de manière à nous imprégner de cette ambiance, nouvelle et novatrice, dans un montage parfaitement maîtrisée servant à merveille le scénario. Bingo George !!
Dans ce western, la violence, mise au grand jour par le réalisateur, paraît aujourd'hui réductrice malgré de très beaux corps-à-corps et d'un duel final exemplaire. Tous mes chapeaux, Maître Stevens !
Pourquoi je considère "Shane"/"L'homme des vallées perdues" comme un western mythique ? Pour toutes les raisons invoqués ci-dessus, mais aussi car il s'agit d'une première dans l'histoire du western : des codes, dans l'idée, sont balancés, et seront repris par les plus grands ensuite. Premier exemple : Shane arrivant mystérieusement (annonciateur de "L'homme des hautes plaines") et se déplaçant au milieu de la caméra sur un plan large (préfigurant "Et pour quelques dollars de plus"). Et ce n'est pas tout. La noirceur des personnages, à commencer bien sûr par l'énigmatique Jack Palance, l'autre chasseur de primes. On ne le voit que très rarement, et pourtant, c'est son visage qu'on retient une fois le film terminé. Un peu à la Lee Van Cleef, je trouve. Je termine par le final. Énigmatique, suscitant les débats (voir sa référence dans le "Négociateur" avec Samuel L. Jackson), profondément mystérieux (on ne sait rien d'Alan Ladd, ni ses motivations à rester avec la famille), ce nouveau genre de cowboy s'en va en laissant ses règles dans un Far West dépassé par les événements. Un nouveau type de personnage est dessiné par Maître Stevens nous montrant l'aura sur lequel repose encore le film, 64 ans encore après sa sortie ! Si ça, ça n'est pas du mythique... !
L'un des tous meilleurs western de l'histoire du septième art. Une œuvre à part entière, assurément !
Spectateurs, envoûtons nous...
A noter : le rôle de Jack Palance permis à Morris et Goscinny de créer l'un des méchants de la saga "Lucky Luke", Phil Defer.