Don’t worry darling est une œuvre qui cultive la dissonance, tant sonore – la bande originale de John Powell refuse de s’associer au rock des années 50 et privilégie le souffle saccadé d’un chœur de femmes, les staccatos des violons, les percussions brutales et les plages atmosphériques qui diffusent un long malaise – que visuelle : l’intérieur uniformisé et coloré d’une maison de banlieue pavillonnaire est scruté dans son vide congénital, traduit à l’écran par le désert environnant ; les voitures rutilantes et rouges et bleues et jaunes affrontent, lors d’un plan rappelant la clausule de Thelma & Louise (Ridley Scott, 1991), ce néant de sécheresse où rien ne pousse, et où pourtant un homme a souhaité fonder sa cité. La radicalité du cadre permet à la réalisatrice de centrer l’attention, telle une loupe, sur les personnages enfermés, contraints de vivre dans une autarcie mystérieuse, à la fois consciente et enfouie ; elle suffisait peut-être à produire des mirages dont est victime Alice, sans qu’une manipulation technologique n’oriente le film vers le genre de la science-fiction, ici poussif.
C’est que son originalité plastique tient à l’hybridation : il y a assurément du Jordan Peele là-dedans – on pense à Us (2019) pour la défilade d’individus habillés en rouge, pour une horreur figée, fixe, émanation d’un malaise social –, du Suburbicon (Georges Clooney, 2017) pour sa critique de la banlieue pavillonnaire américaine au sortir de la Seconde Guerre mondiale, du The Surrogates (Jonathan Mostow, 2009) pour l’alternance entre rêve et réalité, du La La Land (Damien Chazelle, 2016) aussi, avec ces gros plans zénithaux rythmés sur des aliments que l’on manie. Pour autant, le long métrage se tient et ne souffre que peu du collage de ses influences ; il impose un rythme et un ton originaux pour aborder la condition des femmes dans les années 50 ; il atteste enfin une croyance en l’imaginaire et ses pouvoirs pour inventer une forme-sens singulière qui détruit, en les asséchant, les idéaux américains tant claironnés. Une curiosité à découvrir, porté par le talent de ses comédiens.