Ce chef d'oeuvre de Mizoguchi est à part dans sa filmographie pour au moins deux raisons. Tout d'abord, la petite soeur est le seul personnage des films de Mizoguchi qu'on peut qualifier sans peine de personnage "positif". Dans le même temps, le destin qui lui est réservé est le plus cruel du cinéma. De plus, le final du film, d'une puissance humaniste rarissime (surtout pour le réalisateur!), voit un personnage lutter non pour s'en sortir mais pour une cause commune, son intérêt personnel étant lié mais passant en second. A part cela, on n'est pas perdu. La construction scénaristique est ce qui se fait de mieux dans l'Histoire du cinéma, une absence de facilités qui choque par rapport à ce qu'on est habitué à voir, l'évolution impitoyable des personnages permettant une plongée vertigineuse dans une humanité qu'on ne souhaite pas forcément voir. La mise en scène de Mizoguchi est royale, toujours cette distance qui laisse les personnages se débattre seuls, pathétiques et impuissants (ce qui est surmonté, donc, à la fin du film). La vision proposée de l'esclavage a un air documentaire. Cependant, il est important de noter que plus encore que ses autres films, celui-ci est d'une dureté difficilement supportable pour peu qu'on s'investisse dans le visionnage. La petite soeur est incroyablement attachante, et en conséquence une succession de scènes vers les 2/3 du film broient les tripes, simultanément bouleversantes ("réveil" de l'humanité du frère) et révoltantes, devant l'Inévitable, que la petite soeur avait prévu et auquel elle s'était résolue. A la fin du film, dont la dernière séquence est également terriblement éprouvante (on est amené à faire un bilan de tout le film), j'ai été saisi d'une envie de pleurer ainsi que de vomir... Pourtant jamais Mizoguchi n'en rajoute, il se contente de ne jamais détourner les yeux et de ne jamais se soucier de préserver le spectateur. Grandiose, essentiel, magnifique.