1960, la France se plie aux traits petit-bourgeois de la Nouvelle Vague. Dans ce diktat formel, qui n’a pas moins offert certaines des plus grandes œuvres de l’histoire du cinéma, Maurice Pialat, artiste indépendant, se désolidarise de Paris et de sa multiple représentation pour implanter son regard aux abords de la banlieue. «L’Amour existe» (France, 1960) échappe aux élans romanesques d’un Truffaut pour mieux voir, de pleins fronts, le quotidien maussade des banlieues parisiennes. En marge de la, relative, toute-puissante Nouvelle Vague, Pialat érige le portrait de la périphérie selon des traits poétiques. Les jours mornes se suivent mais ne se ressemblent pas, allant de petites rixes dangereuses à l’embrasement de petites cabanes en bois. Les longs travellings rapides le long des résidences dessinent les traits de lieux communs. La voix-off de Jean-Loup Reynold dirige les images et porte les plans anodins au rang de témoin, garants de la souffrance sourde qui gît au-deçà des apparences. «Peindre les choses qu’il y a derrière les choses» est l’ambition toute platonicienne à laquelle se livre Pialat. Le réel et son caractère abrupt se fait la matière de la poésie. Le risque, en faisant poésie à partir du quotidien prolétaire, est de falsifier le malaise de leur quotidien. L’écueil, béant, est évité au profit d’une poésie qui n’a rien de lyrique, qui a tout de profonde et qui émeut par les moyens modiques de l’ordinaire. La fin, où une statue de victoire se mue, en un changement d’angle, en appel au secours, clôt l’œuvre sur une note pamphlétaire mais c’est toujours sur la base du monde. Sans jamais se dédouaner de la réalité (sociale et physique) à laquelle rend hommage «L’Amour existe», Pialat évite le formalisme de la Nouvelle Vague, non pas que ce soit plus juste ou plus éthique, mais plutôt que cela prouve, et il faut s’en réjouir, que le cinéma existe par différentes voies. Dans cette poésie laie, Pialat sourd de la banlieue l’espoir qu’y renaisse l’amour.