Pour son premier film, le réalisateur Henri-Georges Clouzot adapte Stanislas-André Steeman, auteur belge (un peu oublié aujourd’hui) dont l'univers n’est pas sans rappeler Agatha Christie. Ce choix n’a, d’ailleurs, rien d’étonnant quand on sait que Clouzot a, également, adapté deux autres romans de Steeman, à savoir "Six hommes morts" (qui donnera "Le dernier des six") et "Légitime défense" (qui donnera "Quai des orfèvres"). Il faut dire que les thèmes chers à Steeman colle parfaitement à l’univers noir du metteur en scène et son (dé)goût pour la nature humaine. Car, dès son premier film, Clouzot donne le ton de son cinéma, tant sur le fond (l’avilissement de l’homme guidé par ses plus bas instincts, les relations de couple comme préoccupation majeure…) que sur la forme (l’influence majeure de l’expressionnisme, les jeux d’ombres et de lumières, le suspens jusqu’à la dernière minute, le soin de caractérisation de chacun des personnages…). Clouzot se montre même ambitieux dans sa mise en scène avec des plans en vue subjective payants et un sens du rythme épatant pour l’époque, qui servent parfaitement l’intrigue. A ce titre, l’enquête s’avère étonnement intéressante (et fait immanquablement penser aux meilleures romans d’Agatha Christie) et, surtout, surprenante dans sa résolution. Le talent de Clouzot permet, cependant, de transcender l’intrigue, en refusant de se cantonner à la seule résolution de l’enquête pour s’intéresser aux suspects de cette pension, dont les rôles ont été confiés à des acteurs, pour la plupart peu connus mais extraordinaires dans leur interprétation. Ainsi, autour d’un Pierre Fresnay impeccable avec son physique passe-partout (ce qui était, également, sa limite et l’a empêché, sans doute, de marquer son époque tel un Gabin, un Jouvet ou même un Blier) et d’une Suzy Delair pleine de fantaisie (mais dont on peut déplorer la volonté du réalisateur de la faire chanter à tout prix), on retrouve une pléiade de seconds rôles magnifiques dont les excellents Pierre Larquey, Noël Roquevert et Jean Tissier, qui campent un trio d’assassins peu scrupuleux tous simplement savoureux. Enfin, Clouzot se permet, dans cette ambiance délicieusement macabre (le mystérieux assassin sans visage qui laisse sa carte de visite sur ses victimes, la psychose l’entourant… tout un programme), de distiller des touches du pure comédie, voire de décalage ahurissant pour l’époque. A ce titre, la scène finale, où le flic fait face, sans jamais rien perdre de son flegme, aux assassins qui se disputent la paternité de leur plan, est une véritable merveille. Que dire de plus sur "L’assassin habite au 21", si ce n’est qu’il ne nous épargne pas quelques ficelles scénaristiques un peu grosses (à commencer par le coup des cartes de visite du fameux Monsieur Durand, retrouvées dans une commode) ? C’est tout de même bien peu pour empêcher le film d’être un petit bijou comme on n’en fait plus… et qui mériterait d’être redécouvert.