Le film de Damien Chapelle est époustouflant. C’est 189 minutes de démesure qui raconte le Hollywood de tous les excès, une démesure qui est celle d’une industrie, celle du cinéma, en pleine explosion chargée d’alimenter, dans tous les genres et sans aucun scrupule, l’avidité de millions de spectateurs qui accèdent au premier medium de masse, cinéma encore méprisé par la haute société de la côte Est, qui ne juge l’art qu’au travers du théâtre et des classiques de la littérature: “J’ai tout de même connu Proust” dit Elinor St. John en commentant une scène de tournage ubuesque de désordre.
Margot Robbie qui incarne Nellie LaRoy et Brad PItt en Jack Conrad, la première saisie en pleine ascension, et le second au fait de la gloire, ne sont pas pour peu de chose dans l’énergie que dégage le film qui enchaine les scènes totalement délirantes d’un Hollywood, capitale du péché, sorte de de Sodome et Gomorrhe modernes, qui vit son grand basculement entre le cinéma muet et le cinéma parlant. Les personnages sont fictifs, même si Jack Conrad est inspiré de John Gilbert, mais l’histoire est bien réelle et le réalisateur Damien Chazelle, né en 1985, franco-américain, est fortement documenté sur cette Hollywood, terre de tous les potentiels et de toutes les déchéances. Tout le monde n’eut pas en effet la chance de Greta Garbo et la projection du Joueur de Jazz en 1927, film pourtant bien médiocre de Alan Crossland, dont la première (?) est restitué, fut réellement une révolution.
Le film se présente comme un récit chronologique et montre la déchéance progressive des super stars de l’ancien monde dans un milieu passablement déhumanisé, où l’on brasse beaucoup d’argent, de drogue et où le sexe est encore relativement libre mais déjà placé sous l’œil suspicieux d’une société qui s’apprête à mettre tout le cinema sous code en 1930 (le fameux code Hays). Il montre aussi combien cet art nouveau fut une terre d’opportunité comme pour Manny Torres, mexicain, qui devient par culot et chance, un réalisateur notable qui doit finalement fuir au Mexique quand Nellie LaRoy, en pleine chute mais dont il est amoureux, s’endette au jeu auprès de margoullins dangereux avant de disparaître à son tour.
Babylon, titre qui fait référence à l’œuvre majeure de DW Griffith, démesurée elle-aussi, est sans doute l’un des meilleurs films produits sur cette période depuis “Sunset Boulevard” de Billy Wilder en 1950 avec Gloria Swanson dans son propre rôle et Erich Von Stroheim , autre figure de la démesure du Hollywood des années folles. Il n’est pas dépourvu de profondeur et de justesse de vue quand il évoque ce que ces acteurs déchus, bons ou moins bons, vont finalement laisser à la postérité au delà de la bacchanale que fut cette époque pour certains et de la blessure égotique qui les flétrit de n’être soudainement plus prisé du public.
Il y a enfin des scenes de légende (déja) dans ce film, celle du combat contre le crotale ou du baiser de Jack Conrad à sa partenaire au coucher du soleil. Le cinema n’est pas un art mineur. Il n’est pas non plus une industrie de chefs d’oeuvre. Damien Chazelle conclut son propos, par les yeux Manny Torres, revenu à Hollywood, qui découvrant “Singing in the Rain” réalise que tout le passé se fond finalement dans un présent plus abouti et que le Cinéma est plus grand que tous les individus qui en ont fait individuellement l’histoire.
Bel Hommage.