Il y a des moments, des détails de la vie, qui sont capturés par la seule force du désir. En mettant tout cela au féminin, avec une sincérité renversante, Nine Antico réussit son premier long haut la main. Et ce n’est pas seulement dans le sens où elle cherche à cultiver de l’originalité, loin de là. Elle s’attarde sur le quotidien de son héroïne, qui ne cesse d’embrasser tout ce qui la fait vibrer et chanter, en rythme avec des tubes dont les paroles sont intemporelles. Le choix graphique suit cette même logique, de manière à se focaliser sur les traits et les contours des personnages, animés par la passion, la violence et le rejet. Cela rappelle par moments la « Frances Ha » de Baumbach, qui dansait et qui brûlait d’envie de s’orienter dans les études. Ici, la cinéaste met l’accent sur la confusion et l’errance d’une femme, qui cherche autant sa place dans un milieu qui lui donne des ailes que l’amour, au sens large des possibilités.
Ce n’est pas un hasard si la jeune Sophie (Sara Forestier), tente de se rapprocher des bande-dessinées, ou plutôt romans graphiques. L’autrice-réalisatrice s’empare ainsi de son sujet, avec un vécu à distiller. Quand bien même il ne serait pas possible de tout distinguer, le plus important reste cette approche onirique et ponctuée d’une tendresse particulière envers celles qui savent encore s’abandonner à une exploration sans limites. À côté de son amie Julia (Laetitia Dosch), Sophie dégage une vitalité qui gronde à chaque fois qu’elle entre en collision avec les hommes qu’elle désire. Le coup de foudre est un symbole évidemment trompeur et le choix d’assumer ce gimmick rend l’escapade tragi-comique plus saisissant. On ne manque pas d’humour, qui s’inspire librement de planches ou de cases, gratté avec une bonne volonté. Cela se voit davantage lorsque la réalisatrice s’amuse à mettre en scène les débordements mentaux de son héroïne.
La projection dans ses illustrations la renvoie souvent à cette réalité, crue et blessante. Que ce soit au moment de s’épanouir ou de passer à l’acte, un petit grain de sable fait pencher la balance en défaveur d’une Sophie, envoûtée par l’ambiance. Son irruption n’est jamais maladroite et offre ainsi une galerie de personnages masculins très décalés, voire ténébreux. En réalité, on préfère leur céder un peu de nuances afin d’en laisser à celle qui gravite autour de ces représentations torturées. Le premier degré de lecture est donc souvent la bonne auprès de ces hommes, mal dans leur peau, mâles dans leur instinct. Une toile se déchire alors, chez Sophie et chez le spectateur qui appréciera se reconnaître dans les situations cocasses, gênantes et décomplexées. Par ailleurs, le rapport avec le corps de la femme suggère une forme de respect et d’harmonie qu’il convient d’entretenir et l’œuvre en parle suffisamment bien pour que l’on en retienne les vertus.
Comme un cycle à quatre saisons qui défile en l’espace d’une journée, « Playlist » s’enroule et s’articule dans une fabuleuse pellicule de réflexion. C’est une ode à la liberté qui se dessine et qui révèle une fois de plus que la vie en rose n’est rien de plus qu’une nuance de gris. On prend toutefois plaisir à accompagner la descente de Sophie, qui n’a pas encore passé l’âge d’apprendre et de réussir. Il s’agit d’un encouragement qui résonne, telle la voix cafardeuse du narrateur, Bertrand Belin, ou encore des paroles de Daniel Johnston, qui insistera maintes fois qu’un « True Love Will Find You In The End ».