Dixième réalisation de Benoit Delépine et Gustave Kervern, Effacer l'historique est à la fois un "film période gilets jaunes" et une critique cinglante de l’ère numérique. Le premier explique : "On a commencé avec Aaltra en Picardie, chez moi, dans les champs, et le but, c’était d’arriver un jour chez Gustave, à l’île Maurice. Ça faisait plusieurs films qu’on essayait sans y parvenir, et là, ça y est. Comme ce film parle de la mondialisation folle, on s’est dit que c’était enfin l’occasion d’aller jusqu’à Maurice, avec cette illumination : l’homme est le dodo de l’intelligence artificielle (ndr : une scène du film explique le dodo, pigeon géant de l’île Maurice qui a disparu en raison des activités humaines). Comme le dodo, l’homme croit être le roi du monde, n’avoir aucun prédateur le menaçant, mais il a créé l’intelligence artificielle qui est beaucoup plus puissante que lui, et aujourd’hui, on voit les prémices de ce qui va nous arriver. On pressent que ça va mal finir."
Le film décrit avec beaucoup de précision certaines absurdités technologiques de l’époque, comme par exemple dans cette scène où Marie (Blanche Gardin) stocke ses divers identifiants et mots de passe dans son congélateur... Gustave Kervern précise : "Tu finis par mettre le même mot de passe partout avec le risque de te faire tout pirater d’un seul coup ! Puis il y a les indices de sécurité de ton mot de passe, alors il faut en refaire un plus compliqué et plus difficile à mémoriser… Oui, on passe notre temps à refaire des mots de passe."
Benoît Delépine et Gustave Kervern se sont documentés auprès de hackers, comme ils l'expliquent : "Le principe du cloud, c’est que les infos nous concernant sont réparties dans plusieurs endroits dans le monde. Mais il existe quand même un endroit physique où il est possible de supprimer une information, endroit généralement situé en Californie. C’est pour ça que Marie part à San Francisco."
Au départ, le film était centré sur un seul personnage en lutte contre l’isolement, la précarité et la numérisation des services publics. Gustave Kervern et Benoît Delépine ayant écrit ce scénario avant le mouvement des gilets jaunes, ils l'ont réécrit pour ne pas paraître trop opportunistes. Les réalisateurs racontent : "On a alors décidé de changer de sujet et d’écrire pour trois personnages principaux, qui ont chacun des problématiques différentes même si elles se rejoignent. On voulait aussi faire passer l’idée du collectif dans un monde de plus en plus individualiste, avec des outils électroniques qui font que les gens sont de plus en plus isolés."
Si les trois acteurs principaux (Blanche Gardin, Denis Podalydès, Corinne Masiero) font figure de nouveaux venus chez Gustave Kervern et Benoît Delépine, plusieurs de leurs fidèles collaborateurs sont présents dans le film. Ainsi, Benoit Poelvoorde, Michel Houellebecq, Vincent Lacoste et Bouli Lanners jouent chacun un personnage. "On s’est dit que c’était notre 10ème film en comptant le moyen-métrage avec Brigitte Fontaine, donc une occasion de regrouper les gens qu’on aime bien. Par contre, on avait oublié que dans Near death expérience, Michel jouait déjà un gars qui voulait se suicider. Chaque fois qu’il vient dans un de nos films, c’est pour un suicide !", confie Gustave Kervern.
Gustave Kervern et Benoît Delépine n'avaient pas le droit de mentionner les noms des marques dans Effacer l'historique, ce qui a posé plusieurs difficultés. Ils se souviennent : "Les grandes marques sont mieux protégées que les personnes physiques. On n’avait pas le droit de citer Cupertino, la ville d’Apple. C’est comme si on n’avait pas le droit de citer Clermont-Ferrand parce que c’est la ville de Michelin ! Non mais on rêve ! On a été obligé de blanchir les masques Anonymous avec des effets spéciaux, parce que les droits de ces masques appartiennent à la Warner. Même ce symbole d’anarchisme est privatisé par une multinationale. On est cernés."
Blanche Gardin avait joué l'un des personnage du film à sketchs Selfie, lui aussi centré sur les nouvelles technologies. Elle y campait une mère prête-à-tout pour faire des vues sur Internet. La comédienne explique : "Les thèmes soulevés par le scénario me parlaient, et je reconnaissais leur patte sociale et poétique qui me touche profondément. Et puis c’était drôle. Je crois que je me reconnais dans tous les personnages de Kervern et Delépine ! Je me reconnais dans ce qu’on a tous en nous et avec lequel on peut tous être d’accord. Ce n’est pas facile de se trouver chouette tous les matins quand on se regarde dans le miroir mais il y a toujours à l’intérieur de nous un endroit qui est respectable, et cet endroit est notre humanité. Dans les personnages de Kervern et Delépine, il y a toujours cette part. Il n’y a pas de personnages foncièrement antipathiques chez eux, ils nous ramènent toujours à une part acceptable de nous-mêmes. Marie, je l’ai acceptée à 100%."