Gustave Kervern et Benoît Délépine font désormais partie intégrante du paysage cinématographique franco-belge avec un univers marqué qui leur est propre et clairement identifiable par sa singularité. Au fil de leur filmographie de plus en plus riche, ils ont réussi à enrôler les plus grands acteurs du cinéma francophone de, entre autres, Gérard Depardieu (« Mammuth » et « Saint-Amour ») à Benoit Poelvoorde (« Le grand soir ») en passant par Jean Dujardin (« I feel good »). Des films qui ne supportent généralement pas l’appréciation tiède : soit on aime, soit on déteste. Pourtant celui-ci contredira cette règle tant la forme pêche quand le fon touche en plein dans le mille. Ici, ils recrutent un trio d’acteurs iconoclastes tout à fait assortis et qu’on n’attendait pas forcément là. Une Blanche Gardin très en forme et qui fait terriblement penser à une Marina Foïs en plus jeune, un Denis Podalydès visiblement très content d’être là et une Corinne Masiero égale à elle-même (peut-être un peu trop). A eux trois ils forment un trio bigarré et que l’on prend plaisir à voir évoluer dans cet univers barré.
Le cinéma du duo belge a toujours été engagé et contestataire. Ici ils s’attaquent aux nouvelles technologies et aux géants du Web, les fameux GAFAM, avec une force d’écriture qui dépeint tout à fait les dérives de notre monde actuel. C’est virulent, c’est corrosif et c’est souvent jouissif. Peu de cinéaste en activité peuvent se targuer de remplir leurs films d’un sous texte aussi pamphlétaire baigné dans un humour tantôt décalé, tantôt noir mais souvent irrésistible et plein d’originalité. Et de réussir à concilier cela dans une veine relativement populaire ou en tout cas de plus en plus les concernant. Lorsque le personnage de Gardin se perd avec ses mots de passe ou tente de faire un crédit à la consommation, quand celui de Masiero s’évertue à avoir des étoiles en tant que chauffeur d’une compagnie à la Uber ou quand Podalydès se démène avec une vidéo Facebook qui pourrit la vie de sa fille, cela montre tout à fait les excès et les mauvais côtés de la technologie et de ceux qui la dirigent. Des exemples parmi tant d’autres, car ils pleuvent dans « Effacer l’historique » au fil de séquences décalées le plus souvent amusantes. Et ils sont surtout aussi parlants que révélateurs d’une société malade, sur-connectée et kafkaïenne. Et de dissoudre tout cela dans un humour vraiment pas comme les autres est une gageure incontestable. Et réussie.
Cependant, ce film souffre des mêmes défauts que les autres films de Délépine/Kervern. Et en pire parfois. Pourtant, au fur et à mesure de leurs œuvres, ces défauts auraient pu et auraient dû être gommés. Il y a de nombreuses longueurs pour une comédie de ce genre et tout autant de scènes inutiles. A ce titre, la dernière partie quand les personnages veulent récupérer leurs vidéos dans des Data Center à l’étranger est bien trop absurde, improbable et tirée par les cheveux. On décroche quelque peu sur la fin et elle nous apparaît caduque. Ensuite, l’intrigue est comme souvent chez eux trop lâche et pleine de trous. Il manque d’un réel fil conducteur. L’aspect bordélique de leur œuvre passait au début, désormais c’est moins pardonnable. Enfin et surtout, quelle image laide et quelle photographie triste. Comment peut-on encore produire des films à l’esthétique si moche! Le grain de l’image est excessivement gras, les plans varient entre le banal, l’inutile et le tordu et on ne prend aucun plaisir visuel à regarder « Effacer l’historique ». En somme, c’est une œuvre au fond riche, passionnant et percutant mais qui souffre de trop d’errements narratifs et d’une esthétique peu attirante pour totalement convaincre. Espérons que le duo change définitivement ces défauts dans leurs prochains opus…
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