Tous les grands cinéastes ont fait un film sur les studios hollywoodiens. Tim Burton a réalisé Ed Wood, l’un de ses chefs-d’œuvre, les frères Coen Hail, Caesar !, Quentin Tarantino Once Upon a time…in Hollywood, Woody Allen Café Society, David Cronenberg Maps to the stars, David Lynch Mulholland Drive, Robert Zemeckis Who Framed Roger Rabbit, Michel Hazanavicius The Artist, etc. Comme un passage obligé, la volonté d’un cinéaste de se confronter à une industrie par rapport à laquelle il se situe et qu’il critique essentiellement par le prisme de la satire, de la parodie ou de l’hommage. Il manquait donc à David Fincher son film sur l’âge d’or hollywoodien, il le tient avec Mank, diffusé sur Netflix en cette fin d’année. Deux intérêts sont à lui trouver : il y a d’abord la qualité de la reconstitution historique qui immerge le spectateur dans un Hollywood plus vrai que nature, tout droit exhumé des archives ; il y a ensuite l’interprétation remarquable de Gary Oldman dans le rôle-titre, décidément habile à se transformer au gré des projets. Deux intérêts que court-circuitent et la démarche du cinéaste et sa mise en scène. Pendant deux heures un quart, Fincher se pavane, use et abuse de dialogues interminables construits sur des allusions et remarques érudites que débitent des comédiens caricaturaux, à commencer par Amanda Seyfried dont le jeu paraît constamment forcé. Le noir et blanc, les effets de transition « à l’ancienne », les repères de changement de bobines, le surdécoupage des scènes, tout cela n’est qu’artifice clinquant et stérile posé sur un scénario inutilement complexifié avec moult ellipses et flashbacks, rappelant certes la construction du long métrage Citizen Kane. Fincher est à ce point fasciné par le film d’Orson Welles, aveuglé par son immensité et son statut d’intouchabilité, qu’il tourne autour pour espérer en saisir des bribes d’authenticité, voire pour se persuader qu’il réalise à son tour, en qualité de témoin, un Citizen Kane. Il tient là l’opportunité de régler ses comptes avec les studios qui jadis le brimèrent – pensons à Alien3 – en défendant la liberté de l’artiste dans le processus de création et de réalisation, artiste qui, à mesure qu’il donne la vie, fait des concessions sur la sienne, se sacrifie, se réincarne en matière cinématographique. Tout cela aurait été passionnant si le film ne se cantonnait pas à la surface du mythe, s’il prenait le risque de le déconstruire, de l’interpréter, de lui donner du sens. En lieu et place, un éparpillement ronflant qui dilue la vision portée sur l’artiste non dans un alcool susceptible de le revigorer mais dans le formol le plus lénifiant qui soit.