Un film sans artifices qui traite avec une belle sobriété et un réalisme époustouflant de la face cachée du tennis de haut de niveau. Il intéressera particulièrement les passionnés de tennis et joueurs réguliers dont je fais partie mais pas uniquement car il offre une belle parabole sur ce sport, sur le sport de haut niveau et sur la vie en général.
Un film bluffant de réalisme dans lequel le réalisateur n'abuse pas des effets spéciaux. Le tennis professionnel est comparable à un iceberg : le public ne connaît qu'une infime partie des joueurs, ceux qui sont dans le top 100, que l'on retrouve régulièrement dans les tableaux principaux. Car le tennis professionnel est impitoyable et laisse dans l'ombre médiatique l'écrasante majorité des joueurs qui survivent plus qu'ils ne vivent de leur sport et doivent composer en permanence avec les blessures. Il est d'autant plus impitoyable que beaucoup de ces joueurs sont aussi bons techniquement que bien des joueurs du top 100 mais la différence est tellement infime et la part du mental tellement importante que cette petite ligne de séparation peut aisément se transformer en un gouffre souvent insurmontable.
Ce film est pour moi une belle parabole sur le tennis professionnel mais également sur les maux du tennis français, qui privilégie à tort la technique sur le mental : dans ce pays où l'académisme a toujours pris le pas, on préfèrera toujours un joueur plus doué techniquement mais qui perd que celui qui dispose d'un vrai mental et a le potentiel de gagner. Erreur fondamentale car la technique peut toujours être améliorée tandis que le mental touche aux recoins les plus profonds de la personnalité et ne se décrète pas même s'il peut se travailler. Quand je parle de mental, je parle d'une sphère qui ne laisse pas de place aux sentiments et à l'affectif mais fait de vous sur le terrain un tueur à la peau épaisse et à la volonté inébranblable, capable de résister à toute forme de pression, qu'il s'agisse de celle des médias, des parents, du public, etc....
C'est sans doute ce qui a fait défaut à Thomas Edison, personnage principal du film, qui se révéla au grand public dans sa fraîcheur d'adolescent en atteignant les demi-finales à l'âge de 17 ans dans un match qu'il faillit gagner avec plusieurs balles de match à la clé. Un exploit feu follet sans lendemain sur fond de traumatisme (celui de la défaite) et d'incapacité à supporter la pression qui s'ensuivit. Une fiction qui rejoint la réalité tant les exemples français ne manquent pas. 20 ans plus tard, après une carrière passée dans l'anonymat au-delà de la 100ème place mondiale, Thomas veut continuer à y croire et rattraper le temps perdu. Il est plus âgé, affaibli physiquement mais la pression a disparu et paradoxalement, c'est maintenant qu'il peut prendre du plaisir et se donner encore l'illusion de pouvoir accomplir ses rêves. Ce paradoxe est très intéressant car il n'en démord pas et rien ni personne autour de lui ne le détournera de son objectif : franchir les qualifications de Roland Garros. Une motivation comme au premier jour sans la fraîcheur de l'adolescence mais avec la force de la maturité en plus et ce besoin irrépressible d'y croire encore.
L'importance de l'entourage est assez bien analysé. Une mère omniprésente depuis son plus jeune âge, dure et impitoyable, qui a transposé ses rêves dans son fils, l'a maintenu dans un état de pression permanente, de dépendance mentale et affective et ne lui a jamais pardonné de n'avoir pas confirmé les espoirs placés en lui. L'enfant se rebelle à 37 ans, revendique son droit à poursuivre son rêve mais ne s'est jamais totalement affranchi de celle qui l'a façonné dès son plus jeune âge. Le film insiste bien sur les frustrations de l'entourage, plus grandes que celles du joueur au final, ce qui est intéressant. Une mère qui se culpabilise, une épouse ancienne joueuse de haut niveau qui a toujours vécu dans l'ombre tennistique de son mari et veut entreprendre/réussir quelque chose. L'abîme de la reconversion du joueur plane en permanence, que ce soit à travers Thomas ou son épouse : quand tout ce que l'on sait faire est de jouer au tennis, l'après fait peur et la tentation est grande de se dévaloriser et/ou de retarder l'échéance en se voilant la face. Au-delà des rêves derrière lesquels il se retranche, le vrai dilemme de Thomas n'est-il pas là ?
Et c'est ce cinquième set, véritable chant du cygne dans lequel l'improbable devient soudainement possible, qui va ramener Thomas du rêve à la réalité et précipiter l'inéluctable : l'entrée de Thomas dans l'inconnu et dans sa nouvelle vie.