Premier des longs-métrages Disney, initiateur du Panthéon des « classiques d’animation » du studio, l’adaptation cinématographique de 1937 du conte des frères Grimm, paru en 1812, marque incontestablement l’histoire du cinéma par son innovation des techniques d’animation et de réalisation, sous l’influence et l’audace du producteur Walt Disney.
Contrairement à ce que l’on peut penser, ce film d’animation n’est pas la première adaptation du conte homonyme des frères Grimm. En effet, en 1903, un film muet réalisé par Siegmund Lubin sort sur les écrans et marque le départ de plusieurs adaptations futures. Parmi elles, celle de 1916, réalisée par J. Searle Dawley, marque irrémédiablement un adolescent de 15 ans lors d’une projection à Kansas City, en 1917 : un certain Walt Disney. De quoi se dire que la genèse de Blanche-Neige et les Sept Nains par le studio Disney pourrait faire l’objet d’un film à elle seule. Quoiqu’il en soit, le visionnage de l’adaptation de 1916 laisse un goût amer au futur génie de l’animation, qui remarque plusieurs défauts de synchronisation et commence à penser à sa propre adaptation du conte original.
A partir de 1924, Walt Disney anime et réalise plusieurs séries de courts métrages d’animations, dont les Silly Symphonies, en 1929. Cette série est importante dans l’histoire de Blanche-Neige et les Sept Nains, puisqu’elle a permis à Walt Disney de faire de nombreux essais d’animation, dont il s’est ensuite servi pour la conception du film. De plus, des nains et des sorcières apparaissent déjà dans ces courts-métrages et permettent de préparer l’apparition des futurs protagonistes du film.
Mais rapidement, Walt Disney n’est pas satisfait de ses formats et la nécessite de réaliser un long-métrage se fait ressentir, pour deux raisons principales. D’abord, financière, puisque les recettes des courts-métrages suffisent tout juste à les rentabiliser et que les coûts de production sont sans cesse en augmentation. Ensuite, artistique, car ce format court ne permet pas de développer suffisamment les personnages et de raconter des histoires plus construites. Au printemps 1934, Walt Disney prend donc le risque d’investir sa fortune personnelle pour réaliser Blanche-Neige et les Sept Nains, avec un budget initialement prévu de 250 000 dollars (il atteindra finalement près d’1,5 million). Durant l’été, le projet est présenté publiquement et ni la presse, ni Hollywood, ne croit en lui. Toutefois, l’année suivante, le studio se lance dans une vaste entreprise de recrutement afin d’attirer les meilleurs talents de l’animation pour élaborer ce projet ambitieux et colossal. 300 artistes se présentent, d’horizons et de parcours très variés, parfois sans aucun rapport avec le milieu de l’animation mais qui profitent de séances de formation proposées par le studio, dont certaines ayant pour objet l’étude des mouvements du corps humain afin de rendre l’animation des personnages plus crédible.
Pour construire ce premier long-métrage, le studio Disney puise essentiellement son inspiration en Europe. Ainsi, durant l’été 1935, Walt Disney voyage sur le Vieux Continent et ramène en Amérique 350 livres d’auteurs européens, ainsi que des dessins, pour enrichir ses sources. L’influence de l’Europe dans la naissance du film se retrouve également dans les origines irlandaises de son créateur, mais également dans celles du conte lui-même, écrit par les frères Grimm, nés en Allemagne. Enfin, plusieurs membres de l’équipe artistique sont également issus de ce continent et apportent leur culture personnelle dans la conception des décors, en partie d’inspiration norvégienne et russe.
Au sujet des influences, celles-ci sont également importantes dans l’élaboration des personnages. En premier lieu, l’héroïne au teint aussi pur que l’est sa personnalité, Blanche-Neige, dont les traits ont été inspirés par le physique de la jeune actrice américaine Janet Gaynor, essentiellement connue pour son rôle dans L’Aurore (1927). Ensuite, l’aspect de l’odieuse Reine, qui a beaucoup évolué au fil de la production, prend ses racines dans les traits de l’actrice Joan Crawford, même si l’influence de la mythologie européenne n’est pas à négliger, avec des pouvoirs et un tempérament qui se rapprochent de Circé et de la Fée Morgane.
Parmi les éléments caractéristiques des films Disney, la musique occupe une place prépondérante, dont on peut avoir un premier aperçu dans Blanche-Neige et les Sept Nains. Walt Disney, très tôt convaincu de l’utilité d’intégrer des compositions musicales, fait écrire 32 chansons pour le film, avant d’en sélectionner finalement 8, dont la très célèbre « Un jour mon prince viendra ».
Blanche-Neige et les Sept marque l’histoire de l’animation par plusieurs progrès et innovation. D’abord, il possède l’inestimable honneur d’être le premier film du genre qui est à la fois en couleurs et sonore. Ensuite, au sujet des techniques d’animation, Walt Disney a permis d’amorcé plusieurs améliorations pour répondre aux besoins spécifiques du film : utilisation du Technicolor trichrome qui en est encore à ses débuts, du procédé de rotoscopie (qui a été parfois critiqué pour sa retranscription jugée trop réaliste des mouvements humains), de la caméra multiplane pour améliorer la sensation de profondeur, ou encore, d’une plus grande quantité de couleurs que celles qui apparaissent dans les précédents courts-métrages.
Finalement, après trois années de production, Blanche-Neige et les Sept Nains est présenté pour la première fois le 21 décembre 1937 au Carthay Circle Theater, un ancien palais d’Hollywood fermé en 1968, quatre jours avant Noël, date butoir exigée par les investisseurs. Cette projection, réalisée en présence de nombreuses personnalités du cinéma, est un véritable triomphe.
Un an plus tard, à la fin de l’année 1938, les recettes d’exploitation du film sont estimées à huit millions de dollars. A Paris, Blanche-Neige est restée à l’affiche pendant 31 semaines. En Allemagne, alors sous le régime nazi, le film n’est pas distribué mais certains des plus hauts responsables du gouvernement l’apprécient beaucoup, dont Hitler, qui a visionné le film jusqu’à ses derniers jours. Enfin, au Royaume-Uni, en raison de certaines scènes jugées trop effrayantes, les enfants de moins de 12 ans ont l’interdiction de visionner le film, et ceux de moins de 16 ans doivent être accompagnés. Une décision qui nous semble aujourd’hui assez invraisemblable.
L’année suivante, Walt Disney reçoit pour la deuxième fois l’Oscar d’honneur (le premier a été obtenu en 1932 pour la création de Mickey Mouse), une récompense offerte pour ce premier long-métrage, qui est devenu le plus important succès du cinéma jusqu’à la sortie d’Autant en emporte le vent, en 1939. Ces recettes ont d’ailleurs permis à Walt Disney de financer le siège actuel de son entreprise et le succès de cette innovation de l’animation reste reconnu et apprécié plusieurs décennies plus tard, en dépit de critiques sur un vieillissement qui rendrait le film obsolète. A ces arguments et à leurs responsables ignorants, on ne peut que conseiller d’étudier la technologie d’animation de l’époque, que la réalisation de ce long-métrage a permis de faire énormément progresser, et d’observer le caractère incroyablement novateur des dessins pour un film des années 1930.