Parfois, c’est dès la première scène – dès le premier plan – que tu sais quel va être le niveau du film que tu es en train regarder.
Et, pour le coup, ce « De Gaulle » en est un magnifique exemple.
Jugez par vous-même.
A votre avis, par quoi un biopic sur le Général de Gaulle va-t-il s’ouvrir ?
Réponse A : par sa naissance dans la résidence lilloise de ses parents ?
Réponse B : par son exil en Irlande, après sa débâcle du référendum de 1969 ?
Réponse C : par un de ses discours emblématiques (Londres / Alger / Orsay) ?
Réponse D : ou bien par une scène de cul entre le bon Charles et sa tendre Yvonne ?
Allez on ne triche pas.
On réfléchit bien.
On choisit sa réponse.
Vous êtes prêts ?
La réponse est…
…la réponse D !
Eh oui ! Incroyable mais vrai !
Bon alors après – c’est sûr – il s’agit d’une scène de cul pensée pour les auditeurs de RTL (producteur du film) donc ça reste très sage hein !
On se caresse. On se bécote. On garde ses vêtements. Rien de bien grivois…
Mais bon, enfin voilà quoi ! Un film sur de Gaulle qui commence par des poutous !
Non mais ça ne dit pas tout, ça ?!
Ça ne dit pas tout de l’ambition qu’a Gabriel Le Bomin pour son film ?
Pourquoi commencer par une scène de tendresse quand il s’agit de dresser un portrait du Général ? N’est-il pas manifeste qu’on cherche ici avant tout à attendrir le spectateur sur l’homme que certains pourraient juger trop dur ? N’est-il pas évident qu’on cherche avant tout à émouvoir, à s’attarder sur la bonté de l’homme plutôt que de questionner son œuvre, ses actes, sa pensée ?
Alors oui, certains films se révèlent dès la première minute, pour ne pas dire dès le premier plan.
Et ce que révèle ce « De Gaulle » c’est qu’il sera une hagiographie totalement décomplexée.
On ne questionna pas l’homme. On constatera juste sa grandeur.
Et surtout on remarquera à quel point la noblesse de ses actes n’est qu’à la dimension de la noblesse de son être.
Autant vous dire qu’après pareille introduction je me suis blotti bien au fond de mon fauteuil en regardant ma montre.
Le temps risquait d’être long…
Une heure et quarante-neuf minutes.
Voilà donc en tout et pour tout ce que dure cette longue et pénible panégyrique à la gloire du saint fondateur de la Ve République ; au père de la Victoire.
1h49 qui se révèlent en plus bien mollassonnes tant l’écriture et la mise-en-scène se veulent didactiques et unidimensionnelles.
On est à mi-chemin entre une émission de Stéphane Bern et un podcast de RTL.
On ne veut surtout pas ennuyer les gens avec de la politique ou des ambigüités, alors on va s’attarder sur la vie de famille et on va bien tout expliquer en dis-tin-guant-bien-cha-queu-syl-la-beu. Parce que – tu comprends – les vieux, ça comprend pas toujours tout, alors il faut leur expliquer simplement, longtemps et longuement.
Ainsi se retrouve-t-on avec un film incroyablement poussif, où chacun parle comme s’il participait à un concours d’orthophoniste, et où chaque propos ou situation est évoquée avec le plus de simplisme possible, histoire que personne ne soit perdu.
Les exemples sont légions, mais le meilleur moment reste encore quand Pétain dit en coulisse à Weygand : « Bientôt cette République tombera et nous pourrons alors prendre le pouvoir ! »
Ne manquait plus que le « Mouhahahahahaha ! » de gros méchant et les éclairs derrière lui.
Assez risible.
Alors forcément, avec pour seule et unique ambition de ne présenter de Gaulle que comme un général obstiné et soucieux du bien-être de sa famille, ces presque deux heures paraissent bien vides et bien creuses, surtout que l’intrigue entend se restreindre aux seuls mois de mai et de juin 1940 pour nous raconter ce que fut le Général.
Une idée un brin saugrenue quand on considère le peu de densité et de profondeur de la démarche mais une démarche qui s’explique assez manifestement dès que les premières typos en grande lettre blanche apparaissent.
En fait si « De Gaulle » est ainsi construit, c’est juste par mimétisme.
Un mimétisme qui entend singer plutôt qu’imiter les brillantes « Heures sombres » de Joe Wright, sorties deux ans plus tôt.
« Les heures sombres », c’est un film qui entend retracer la vie de Churchill au travers d’un seul instant de sa vie – sûrement le plus décisif – celui de sa nomination en pleine débâcle anglaise. L’intrigue ne s’étale que sur un mois, du 10 mai au 4 juin, mais durant ce court laps de temps, Joe Wright parvient à rappeler qui a été Winston Churchill ; ce qui l’a façonné.
Mais ce n’est pourtant pas ça qui en fait un grand film. Sa force, « les heures sombres » la tire du fait que Churchill n’est au fond qu’un sujet parmi tant d’autres.
Derrière le lion, Wright nous parle aussi du Royaume-Uni, de son parlementarisme presque ancestral et surtout de cette force qu’il parvient à dégager au-delà de la désuétude.
« Les heures sombres » n’est pas qu’un film sur la guerre et la politique, c’est aussi un film qui se déroule dans un gigantesque théâtre vivant, où les acteurs ne cessent de circuler entre ascenseurs et coulisses avant d’aller sur scène pour s’efforcer de donner vie à leurs mots, à leurs idées, à leur politique.
« Les heures sombres » est un film fort parce qu’il est un film complexe ; parce qu’il questionne tout aussi bien le fond et la forme, bien plus qu’il ne se contente de questionner les personnages.
Autant de choses que Gabriel Le Bomin a observées sans voir.
Un cécité qui l'a conduit à copier la surface sans être capable de saisir l’intérêt d’une telle structure narrative.
Parce qu’au fond, quel intérêt à suivre ce Général ainsi ?
Ce film ne dit rien de la France, de la République française et surtout il ne dit rien de la politique ni même de la guerre.
Alors certes, quelques images sauront peut-être sauver ce film d’un total naufrage sur la dernière partie du film, notamment quand il sera l’occasion de présenter l’Arrière. Et encore…
A part ça on nous présente un Général sans guerre ni soldat ; un politicien sans conviction ni discours politique ; un chantre d’une victoire qu’on ne verra jamais…
Ainsi, dans ce film, de Gaulle n’est au fond que peu de choses.
Il n’est qu’une icône lisse qu’on brandit pour qu’on la prie.
Mais cette icône est totalement désincarnée et désintellectualisée.
Elle n’est qu’une figure imprimée platement sur de la pellicule qui défile.
Pas de questionnement sur le de Gaulle ami de Maurras.
Pas de questionnement sur le de Gaulle chef du gouvernement provisoire.
Pas de questionnement sur le de Gaulle putschiste de 1958.
Au fond tout ce qui aurait pu être riche de réflexion et d’interrogation est ici éludé.
Le but n’était pas de comprendre ou de révéler ; d’interroger ou de méditer.
Non. Dans ce film, de Gaulle ne peut être que vénéré.
Et comme un autre symbole de cette démarche hagiographique, on pourrait notamment conclure en s’attardant sur sa fin.
Je disais tout à l’heure à quel point un premier plan pouvait être révélateur de ce qu’était un film, mais c’est au fond tout aussi vrai en ce qui concerne le dernier.
Car, voyez-vous, par quoi ce « De Gaulle » entend se conclure ?
Par de Gaulle accueillant les premiers Français libres ?
Par de Gaulle entamant les négociations et la collaboration avec les Britanniques ?
Par de Gaulle partant pour les colonies afin de poursuivre le combat ?
Non.
Rien de tout ça.
« De Gaulle » finit…
…en précisant que sa femme et lui ont ouvert une fondation pour tous les petits enfants malades comme l’étaient leur petite Anne.
Oui.
Voilà.
C’est donc cela qu’il faut retenir du Général de Gaulle.
Certes, c’était un officier et politicien, mais surtout c'était un mec qui faisait des bisous à Yvonne, qui trouvait la force dans les petits carnets que lui confectionnait sa fille malade et qui, à la fin, reste un homme au grand cœur en pensant à tous ces petits enfants qui lui rappellent son amour plein et entier pour sa gamine.
Une hagiographie vous disais-je…
Alors bon…
On a le droit d’être auditeur de RTL et / ou admirateur du Général ; là n’est pas le problème.
Et si d’ailleurs c’est votre cas, faites vous plaisir : allez voir ce « De Gaulle ».
Mais si vous aimez un tant soit peu l’Histoire, la politique, les questionnements et – surtout – le cinéma, il me semble que la meilleure des solutions serait encore de laisser ce « De Gaulle » de côté et d’aller jeter un petit coup d’œil de l’autre côté de la Manche car, cela me parait assez évident, il y a des « heures sombres » qui vous attendent impatiemment…