Le dilemme
Audrey Diwan est surtout connue comme scénariste. C’est ici, seulement, son 2ème film. Après son excellent Mais vous êtes fous en 2019, on était en droit d’attendre au moins aussi bien avec ces 100 minutes…et c’est un drame magnifique couronné par le Lion d’Or à Venise, – et pourtant avec Almodovar, Jane Campion ou Sorrentino, il y avait du lourd en compétition -. France, 1963. Anne, étudiante prometteuse, tombe enceinte. Elle décide d’avorter, prête à tout pour disposer de son corps et de son avenir. Elle s’engage seule dans une course contre la montre, bravant la loi. Les examens approchent, son ventre s’arrondit. Succéder au Nomadland de Chloé Zhao au palmarès de la Mostra ne pouvait être tout à fait un hasard. Ce film terrifiant de réalisme le méritait bien.
Le film est tiré du roman du même nom d’Annie Ernaux, publié en 2000. Ce récit est une véritable expérience physique, car nous partageons le dilemme posé à l’héroïne : avorter en risquant sa vie ou y renoncer et sacrifier son avenir. Le roman était évidemment autobiographique et comme l’auteure a participé très étroitement au scénario, on comprend mieux la force et l’acuité du propos. On nous décrit ici par le détail tout ce qu’une société pouvait faire subir à une jeune fille qui n’a pas le droit de disposer de son corps. La douleur est tout aussi physique que psychologique. Notre trouble va jusqu’à l’insoutenable, mais c’est, dans ce cas, parfaitement justifié. Le choix – décidément très à la mode – du 4/3 permet à la fois de situer le film dans le temps – ici, les années 60 -, de se focaliser sur son héroïne et de nous enfermer avec elle dans un cadre étroit aux bords duquel elle semble se cogner en permanence. Je déteste les images choc quand elles sont gratuites. Dans ce cas, on ne pouvait pas faire l’impasse sur la souffrance physique et morale de la jeune femme. Il était même primordial de ne pas détourner le regard aux moments les plus durs. Un film d’utilité publique à l’heure où certains et certaines osent contester encore le droit à l’avortement. Digne du magnifique 4 mois, 3 semaines, 2 jours du roumain Mungiu de 2007.
La jeune – 22 ans - Anamaria Vartolomei - révélée en 2011 dans My Little Princess face à Isabelle Huppert -, concrétise ici tous les espoirs placés en elle depuis 10 ans. Elle nous fait partager ce suspense intime qui croît tout au long du récit. Une performance ! Tous les autres, Kacey Mottet Klein, Luana Bajrami, Sandrine Bonnaire, Pio Marmaï, sont en tous points parfaits. La musique des frères Galpérine n’est pas étrangère à la réussite totale de ce drame universel en sans artifice qui en bouleversera plus d’un. A voir absolument !