Et si l'originalité pour une fois, c'était de ne pas faire original ? Oui, Anamaria Vartolomei est absolument superbe dans l'incarnation d'Anne, jeune étudiante que la soudaine grossesse contraint à prendre une décision radicale : choisir. Sauf que dans les années 60, c'est déjà beaucoup trop pour les mœurs et la loi : les études ou les fourneaux, le bébé ou le cachot. Comment faire face quand son existence semble régie par des normes archaïques, injustes et intrusives ? On se débrouille seule.
Dans le touchant Mais vous êtes fous ?, qui traitait de l'addiction, Audrey Diwan déplaçait le centre de gravité sur les proches et non la principale victime. En adaptant le roman autobiographique d'Annie Ernaux, la réalisatrice choisit au contraire de coller au plus près de son héroïne. Du début à la fin, le cadre est resserré sur Anne (format 1.37, image carrée), allégorie de son monde autant que celle d'un monde qui l'oppresse. Ce qui n'est pas peu dire.
Un simple repas, une banale douche entre filles, une trace, même un cri suffit à menacer le secret de l'élève en lettres. Bref, être elle-même aurait des conséquences, elle doit donc se comporter "normalement" pour s'en sortir. Par ce simple dispositif de mise en scène et en créant de la tension sur de toutes petites choses, L'Événement décuple l'empathie pour le personnage principal. On est pas serein, compte tenu du contexte ou de l'impossibilité d'en parler tout simplement. La simple évocation d'une émancipation, surtout envers cette "obligation" reproductrice, et les visages se ferment. Comme si le sujet tenait de l'humour macabre. Personne n'en rit, qu'on se place d'un côté comme de l'autre. Bref, on a juste envie de rester avec Anne. Pourtant, on sent que l'appel de le liberté ne demande qu'à exulter : on parle sexe en privé, on cache ses expériences quand on en a. Bref, on se met sous cloche.
Diwan filme ça sans pudeur mais sans voyeurisme déplacé, autant de moments captés dans une capsule temporelle mais qui résonne aussi fort à l'heure actuelle. Le long-métrage n'élude pas la signification d'un avortement au delà du geste de libération des femmes, à savoir l'épreuve physique et psychologique qu'il exige. Les points culminants dans la dernière partie atteignent des sommets d'émotions, entre les pleurs, la panique et l'admiration. Dans sa vérité crue, l'acte libère autant qu'il déchire. Hier comme aujourd'hui, Anne est une grande héroïne. On en fait un symbole, Audrey Diwan et Anamaria Vartolomei lui ont donné vie.