Suite à la respectable adaptation d’un fait, avec « Mais vous êtes fous », Audrey Diwan revient sur des problématiques plus intimes et autobiographiques de l’autrice Annie Ernaux. Pour son deuxième long-métrage, elle laisse les conséquences de l’addiction de côté pour verser dans du suspense social très poignant. Un Lion d’Or n’est pas démérité à ce stade, où la cinéaste préserve une tension omniprésente chez une héroïne qui a beaucoup à perdre. Le cinéma français a encore énormément à offrir et il est loin d’avoir poussé son dernier soupir. Dans la lignée de cette lutte, une femme sonde l’environnement qui l’entoure et qui l’abandonne à son sort. Et quand bien même l’espoir est permis, ce sera au prix de souffrances qui donnera ainsi plus de pertinence à la loi Veil, mais ce ne sera pas pour cette génération.
C’est dans un format 1,37 que la réalisatrice nous embarque, aux abords de l’objectif de sa caméra épaule, au plus proche d’Anne (Anamaria Vartolomei), jeune étudiante promise à un grand avenir. On prend ainsi le temps de brosser le portrait d’une France, qui offre l’opportunité de changer de classe sociale par le biais d’étude et d’une détermination, qu’il convient d’entretenir. C’est à partir de là que le postulat vire au drame social, aussi soudainement que la nouvelle d’un enfant non-désiré va marquer une course contre la montre. Hélas, on nous rappelle amèrement que la pratique de l’avortement fut encore de l’ordre du délit, une manière de brider un peu plus le libre-arbitre des femmes et une façon odieuse de contenir leur désir. Mais là où Diwan aurait pu prendre la direction de dénoncer des états d’esprit conservateurs, elle prend son spectateur à revers, en nous invitant au plus près des souffrances d’Anne.
Une relation de corps et d’esprit se dessine dans un malaise qui réduit peu à peu l’espérance de vie de la jeune femme. Les semaines avancent, comme pour nous rappeler qu’une épée de Damoclès n’est jamais très loin. La prison ou la liberté est un combat fondamental qui lie toutes les femmes dans une situation similaire. Diwan en fait le constat avec une grande pertinence et surtout une puissance folle de mise en scène. Le cadre est rarement aérien, souvent au pas, et d’autres fois, il sera furtif, juste assez pour choquer, mais pas en usant abondamment du visuel, souvent mal placé et à la limite du voyeurisme. On préfère verser dans la suggestion et dans une souffrance pure, au rythme du stress qu’Anne subit au quotidien et en enchaînant les tentatives de guérir de cette maladie qui ne touche que les femmes et qui les condamnent à rester au foyer.
« L’Événement » est une absolue leçon de courage et un constat déplorable sur un système qui ronge des droits fondamentaux. C’est un point de départ qui fâche, mais c’est également une réalité qui est dépeinte, dans l’horreur de la solitude, sans issue ou sans faiseuse d’ange pour ensuite contourner un corps médical rigide. La reconstitution est donc limitée pour que l’expérience immersive soit la plus complète, comme si le spectateur lui-même couvait cette douleur et son impuissance, en regardant Anne traverser les couloirs de son dortoir, de revenir encore plus affaiblie, dépassée et distante à ses cours, mais qu’à la fin, elle puisse peut-être s’affranchir de toutes ses contraintes.