Fable douce-amère « imbibée »
La sortie d’un film danois ne peut laisser indifférent. D’autant plus quand il est signé Thomas Vinterberg. 115 minutes éprouvantes mais somptueuses, tant par le scénario que par la prodigieuse performance des acteurs. Quatre amis décident de mettre en pratique la théorie d’un psychologue norvégien selon laquelle l’homme aurait dès la naissance un déficit d’alcool dans le sang. Avec une rigueur scientifique, chacun relève le défi en espérant tous que leur vie n’en sera que meilleure ! Si dans un premier temps les résultats sont encourageants, la situation devient rapidement hors de contrôle. Depuis son Festen en 1998, Vinterberg n’a jamais filmé pour ne rien dire. It’s all about love, Submarino, La Chasse, Loin de la foule déchaînée, Kursk, La Communauté… autant de grand films qui font de lui un des grands cinéastes actuels. Vous ne sortirez pas indemnes de son nouvel opus.
Personnellement, les scènes beuveries m’ont toujours mis mal à l’aise, - sauf évidemment quand ce sont Gabin et Belmondo dans Un Singe en hiver, tout comme Ventura et Blier dans les Tontons Fligueurs, qui éructent du Audiard -. Par ses audaces et ses ambigüités, ce film situe encore une fois son réalisateur au plus haut avec cette fable « imbibée » qui est avant tout un film splendide sur l'amitié et la douleur d'exister. Attention ce film ne fait pas l'apologie de l'alcoolisme, mais traite d'un problème récurrent au Danemark, - pays de Kierkegaard, qui y a laissé une empreinte sombre sur les mentalités... -, car si le film est une forme de célébration de l’ivresse, il est évidemment aussi un portrait lucide de ses effets dévastateurs. Ce drame porte un regard aigu sur réalité crue et dépouillée, l’excès d’alcool tue, et détruit des vies. C’est du grand cinéma où les scènes se déroulent naturellement, la caméra observe, mais ne dicte jamais l’action. Tout est ici distillé avec intelligence, temps euphoriques et moments d'anxiété, avec de pertinents regards sociaux et familiaux, en prime, tout en maîtrisant les excès et les dérèglements d’un sujet plus que scabreux. Et puis quelle extraordinaire scène finale !!! Un de mes grands coups de cœur de l’année.
Mads Mikkelsen, Thomas Bo Larsen, Lars Ranthe et Magnus Milland, forment un quatuor de beuverie absolument extraordinaire. Ils nous rappellent que nous sommes humains, vivants, et que cela peut parfois s'oublier, et se tarir par habitude, par peur ou par paresse… Incorrect, transgressif et décapant, voilà 1,6 g de joie et d'amour qui se distillent tout au long d’un film miraculeux. Drunk aurait été sans nul doute, l'un des meilleurs films de la cuvée cannoise 2020. A siroter sans modération !