Il y a des films où on a envie de se pendre à la fin. Ici, on a envie de se pendre au début.
Martin est un prof d’histoire chiant, dans ses cours et dans sa vie, transparent, inutile, qui boit de l’eau au resto parce qu’il conduit. Ses enfants le snobent, sa femme, infirmière de nuit, l’ignore, ses élèves le méprisent et leurs parents le recadrent. Vous je ne sais pas mais moi, qui suis prof d’histoire de formation, ça me donne envie de pleurer sur l’irrémédiable inconsistance de ma méprisable existence dès la 5ème minute. Heureusement, je peux m’identifier à Mads Mikkelsen et ça, c’est plutôt sympa même s’il joue à merveille le rôle du mec qui ne va pas très bien mais qui ne sait pas pourquoi.
« Anika, suis-je barbant ? »
Euh… comment te dire, mec ?
Et puis, à l’anniversaire d’un collègue, Martin se laisse tenter par une vodka (et c’est pas de la Smirnoff) en mangeant du caviar, et une obscure théorie norvégienne (une mauvaise interprétation des travaux de Finn Skårderud) sur la consommation régulière d’alcool. En quelques minutes, les gros plans sur le visage de Martin, apparemment impassible mais terriblement expressif dans de minuscules détails, et ceux sur ses camarades indiquent le changement de cap, l’élément perturbateur. Insensiblement, Martin s’ouvre au lieu de s’excuser.
L’histoire devient alors expérience scientifique, inversant complètement notre rapport à l’alcool, sur l’exemple d’Hemingway, impliquant les quatre profs réunis lors de cette soirée d’anniversaire. Mythe de Baudelaire.
Sans tomber dans le cinéma expérimental, la caméra de Vinterberg réalise la synthèse parfaite entre recherche visuelle et démonstration classique, ouvrant son œuvre au grand public. Masterpiece.
En partie 2, on se délectera d’exemples au plus haut (ou au plus bas, c’est selon) de dirigeants publiquement ridiculisés par une consommation d’alcool problématique (dont l’inénarrable Michel Daerden). Tout l’intérêt de la courte séquence est de souligner le thème du film tout entier : il ne s’agit pas d’un film sur l’alcool et sur ses conséquences mais bien de bousculer notre regard de spectateur : on rit, on s’émeut, on veut être de la fête, on craint, on ressent aussi la honte, bref, on se dédouble en étant à la fois partie prenante de cette comédie et observateur de la lente déchéance des protagonistes. En cela, la caméra de Vinterberg se veut réaliste et factuelle, objective, et nous renvoie à nous-mêmes et à notre perception sociale d’un fléau pourtant fermement ancré dans notre culture. Si l’on y réfléchit, l’alcool y est toujours soit magnifié, soit décrié, rarement présenté de manière neutre.
Allégorie de notre mode de vie occidental, ce Drunk est aussi une analyse amère de la vie familiale, vue par la lorgnette égoïste de mecs, et de l’incommunicabilité. Si l’action se déroule au Danemark (« dans ce pays, tout le monde picole » qui répond à la scène d’introduction où des étudiants se torchent et à celle de la célébration finale, véritable institution au Danemark), elle s’adapte très bien à nos contrées.