Qui a aimé "Festen", film de Vinterberg sorti en 1998, verra "Drunk" du même auteur ("Another Round" pour les anglo-saxons). Qui aime Kierkegaard ira aussi voir ce film, car c’est un plaisir de le dénicher, étant omniprésent du début à la fin. Y joue Mikkelsen, acteur capable de tout, avec excellence dans chaque rôle (de celui de Stravinsky face à Coco Chanel à celui du Chiffre face à James Bond). Donc, quand en plus de ces trois danois d’exception, on aime les productions scandinaves, on court voir ce film, qui transporte dans le monde froid mais hypersensible des danois. Quand on réunit ces conditions, on en sort aux anges, d’autant que ce n’est pas aussi sulfureux que Festen. Quand on ne réunit pas ces conditions, attention à la déception parce que, même si c’est bien réalisé et bien joué, ce n’est ni simple ni drôle (en plus c’est en danois !). On ne rappellera pas l’histoire, bien résumée dans les synopsis. Le truc, c’est qu’il s’agit de soi et du dépassement de soi, des raisons de notre comportement, des raisons de notre sagesse. Chacun peut donc se voir dans un rôle, et s’y trouver à l’aise ou pas, car ces problèmes sont à la fois universels et personnels ––parfois, on passe sa vie entière sans les résoudre. "Je ne vois plus grand monde" dit l’un au début : la caméra le montre bien, quand on le voit scruter un orchestre au loin, alors que ses amis boivent et rient ––les talents de Vinterberg + Mikkelsen. Son état dépressif explique le chaos mou mais certain de sa vie. C’est alors que Kierkegaard débarque (sans dire son nom), puisque l’autre dit textuellement : "Oser c'est se perdre momentanément, ne pas oser c’est se perdre soi-même". L’histoire de l’alcool dans le film arrive à ce moment-là (c’est son originalité ; mais sa naïveté en même temps, car baser un film là-dessus est un peu enfantin). Les événements qui suivent constituent une tentative de "reprise" bien kierkegaardienne, où tout va mieux, d’abord. Sauf que les compères en viennent à dépasser ce qu’ils nomment le "point d’allumage" ––or, l’homme ne sait pas gérer ça (c’est comme si l’on se jetait dans le vide). Mais quand on en arrive là, c’est que le problème est ailleurs. Au passage, le plus faible trinque. C’est donc au final un étrange (ou banal) réquisitoire contre l’alcoolisme ––il pourrait s’agir d’autre chose que l’alcool. Sans toutefois ignorer ses vertus (on sait pas trop)… Heureusement que c’est super bien raconté, mis en scène et joué ––l’intérêt est là, et l’on s’étonne de trouver cela jouissif ! A.G.