Avec Druk, Thomas Vinterberg porte à l’écran de façon fort pertinente la pensée philosophique de Søren Kierkegaard et déplace la malédiction depuis l’ancrage familial strict vers une bande d’amis par ailleurs membres d’un corps plus vaste : l’École. Aussi le réalisateur adapte-t-il pour mieux déporter, déplace-t-il un mal essentiellement individuel pour mieux le greffer à l’échec d’un collectif au sein duquel s’opèrent des enjeux politiques. Il s’agit désormais, comme le dit l’un des personnages principaux, de « s’accepter comme sujet faillible », sujet à entendre à la fois dans son sens philosophique – comme unité pensante – et dans son sens d’assujetti à une puissance souveraine, en l’occurrence le royaume du Danemark. Notre quatuor mobilise cette polysémie en ce qu’ils sont professeurs et perçoivent l’ivresse comme une marche progressive vers la liberté, comme une expérience de dérèglement soigneusement réglée avec ses principes, ses chapitres, ses phases d’observations, ainsi que des individus malheureux dans un monde terne qui fait d’eux des pièces d’un rouage qui les dépasse et qui les broie. L’alcool raccorde l’homme au possible avec lequel il gouverne son existence, sans quoi elle serait aussi vaine que lui ; néanmoins, ce possible heurté à ses conséquences, tantôt anticipées tantôt subies, le place dans une situation déstabilisante : l’individu se trouve confronté à un vertige, celui de devoir donner du sens à ses actions puisqu’aucune instance supérieure ne leur en donne. Druk est donc une œuvre boiteuse dans laquelle deux tensions entrent en contact : d’une part la retenue maladive, traduite par une caméra posée qui soigne son cadre, d’autre part le dérèglement de tous les sens, la caméra se mettant alors à virevolter jusqu’à nous donner le tournis. Ainsi, plus le film avance et plus il semble rattrapé par les enjeux moraux de ses protagonistes, leur mauvaise conscience doublée d’une perte de contrôle dommageable – s’effondrer dans la salle des professeurs, exploser des verres dans la cuisine, uriner dans le lit familial – les torturant de la même manière que l’alcool les ronge. Jusqu’à la clausule qui présente Martin écartelé entre deux possibles, le portable sur les genoux, les verres remplis sur la table, avant de se jeter dans le vide précédant l’eau comme signe du choix effectué. Une réflexion intelligente sur le Danemark contemporain, incarnée par des comédiens formidables.