Il n’est pas innocent de boire sans modération. Et pourtant, chacun cherche à sculpter sa forme d’ivresse parfaite, celle qui délivre de la solitude et de la morale. Il existe un fragment de vie que Thomas Vinterberg tente de célébrer et il y parvient, en distinguant le prestige d’une boisson miracle et les promesses indigestes que l’on préfèrerait laisser au fond du verre. Il revient alors à une formule non méconnue, mais aux ressources pertinentes, qui rappelle « La Chasse » ou encore « Festen ». Il laisse ses personnages se vider de leur vitalité, de leurs faiblesses, afin de conter ce que l’on nous rabâche sans cesse, et parfois sans insistance, au sujet de l’alcoolisme, au détour d’une approche philosophique qui change la donne, qui change la vie.
Les enjeux restent toutefois de ne pas ignorer les signaux avant-coureurs d’un mode de consommation, qui dégrade l’esprit, bien qu’il puisse nous rassembler dans la bonne humeur. Vinterberg sollicite le bon sens des spectateurs, car il viendra à un moment, où les responsabilités prendront le pas sur la vie privée et professionnelle. De ce fait, sa mise en scène imbibe cette sensibilité qui anime quatre amis à se partager le nectar de la réussite. Le cadre nous dévoile si bien l’alcoolémie que l’on pourrait presque se passer de chiffres pour l’attester. Par ailleurs, On y distingue les quatre saisons d’une vie d’adulte, car il s’agit également d’explorer cet ultime arc de vie que l’on redoute, mais qui constitue surtout toute la réussite d’une vie. Cette analogie place ces hommes dans un isoloir, car au-delà de leurs familles respectives à gérer, il convient de mener leurs élèves vers une autre destination mentale que la leur.
On se concentre ainsi davantage sur celui qui porte les vestiges du passé, humanisant ainsi ses sujets, tout en les rendant ludiques par la même occasion. Le professeur aura beau enseigner, il transporte ses lacunes de son domicile à son lieu de travail et vice-versa. Sa souffrance n’est donc pas seulement perçue par le prisme d’un manque de confiance en soi. Ce mal qui l’habite n’est que traité sur la durée, alors que ce qui le préoccupe, c’est bien évidemment sa place dans un monde qui le rejette corps et âme. Et si l’alcool semble pouvoir remédier à quelques déboires, personne ne peut faire l’impasse à l’excès. Ainsi, Martin accompagne à la fois Mads Mikkelsen et le réalisateur danois dans leur quête de maturité et d’indépendance, dans des moments difficiles mais sans porter de regard pessimiste à la tragédie. Tommy (Thomas Bo Larsen), Peter (Lars Ranthe) et Nikolaj (Magnus Millang), qui gravitent autour de l’influence de leur collègue, finissent également par convoiter la délivrance, consistant à se réconcilier avec leurs vies respectives, au sein d’un groupe, à défaut de renouer avec une jeunesse perdue.
Cette question de continuité trotte dans chaque scène de « Drunk » (Druk), car la chute de chaque protagoniste les renverra vers le revers positif, d’une journée bien arrosée et enchantée. L’alcool construit et déconstruit ce que l’on redoute, sans pour autant parler de modération et c’est là qu’intervient finement la subtilité du discours, non moralisateur, mais plutôt encourageant. Les vieux hommes font ainsi leur retour dans une société qui a avancé trop rapidement sans eux et festoient à l’unisson, comme s’il restait toujours un ultime hommage ou un dernier verre à partager.