À peine sorti d’un « Grâce à Dieu » séduisant et agréablement éprouvant, François Ozon s’envole vers les côtes normandes, pour renouveler l’appétit du teen-movie et peut-être également pour y repêcher un fragment d’adolescence. Pas étonnant qu’il renoue enfin avec « La Danse du coucou », un roman d’Aidan Chambers qui l’a autrefois bercé dans ses inspirations et qui lui évoque aujourd’hui des retrouvailles tout à fait justifiées. Rien d’aussi tabou que l’homophobie sera au cœur d’un sujet qui se revendique avant tout universelle et crépusculaire. La jeunesse des années 80 nous revient ainsi en force et le cinéaste ne repousse pas l’envie de nous faire vibrer dans une ambiance mélancolique fantaisiste. La période estivale est un symbole puissant de cette liberté, qu’il décrit avec une grande justesse et sincérité. Dommage qu’il ne veuille pas totalement épouser cette intimité, qui le séduit et qui ne manque pas d’occasions pour enfin exploser.
Pas de temps à perdre, cependant, le film se jette rapidement à l’eau, à l’image d’Alexis (Félix Lefebvre) et de sa sensibilité juvénile. S’il ne s’agit pas de brosser avec désarroi la classe marginale qu’on lui associe, le jeune homme reste humble dans cette partition qui ne regarde que les adultes. Son seul désir révèle par conséquent des caresses, provenant à la fois de la brise, du soleil et de la vitalité de David (Benjamin Voisin). Leur rencontre est toute aussi singulière qu’après avoir lancé une bouteille à la mer. Et en l’occurrence, la bouteille c’est bien sûr Alexis. Il s’engage dès l’ouverture, sur une voix-off qui porte des souvenirs douloureux et un message rempli de suspense, que Ozon parviendra à maintenir dans sa mise en scène, du moins un certain temps. Sa force réside plutôt dans la verticalité des émotions. Le premier amour ne fait donc pas d’exceptions et tout le récit s’articule dans ces moments d’égarements, en relation directe avec les généralités de la mort. Le ton est sans doute marqué par du macabre, mais les personnages eux, ne s’arrêtent surtout pas de danser.
Mais au lieu d’évoquer le couple ou le duo, la narration campe derrière l’esprit d’un Alexis qui n’est pas encore prêt à s’ouvrir à son monde et qui n’est pas encore prêt à souffrir dans celui de de David. Cette passion, à la fois fraternelle et amoureuse, n’est qu’éphémère. En redoutant le non-sens de l’éternité, il reste tourmenté par un désir de réconciliation, mais également d’émancipation envers celui qui l’a sauvé et qui l’a libéré à son tour de cette stase, commune à cette période brumeuse, où nous finissons par céder à l’ivresse des passions. L’intention est bien présente, mais manque néanmoins d’aplomb dans sa démarche. Des personnages secondaires se greffent à peine à une aventure, qui privilégie la lumière à ceux qui contribuent à l’ascension émotionnelle du héros. Il n’est pourtant en rien mal entouré. Ce point aurait simplement dû permettre un développement plus pertinent, notamment dans les conflits avec un David, qui ne trouvent pas assez de force pour renouveler ses enjeux. Cette fébrilité a de quoi laisser perplexe, de même qu’un sentiment de déjà-vu, sans doute très mal amené ou mal interprété dans son épilogue.
Toutefois, « Eté 85 » réunit magnifiquement deux âmes, qui se partagent une scène de danse funèbre. Une danse qui anticipe évidemment le regard que le spectateur porte sur ces derniers, en déphasage avec leur jeu de jambes ou encore avec la mélodie que chacun préfère adopter. Ce pivot, qui rappelle évidemment « La Boum », s’accroche à cette envie de lâcher prise, dans une relation qui ne cesse de se balancer dans tous les sens, avec violence et une rationalité tranchante. Mais plus l’on avance, plus le film grille ses cartes et des possibilités de reconstituer l’intimité. Nous avons à faire à un deuil honorable, mais qui trébuche un peu trop dans la facilité de ne pas nous laisser accompagner le vertige des protagonistes au-delà d’une tombe ou d’une porte.