Décidément la mort rode dans les films de François Ozon. Depuis « Sous le sable » il en a fait le thème central de plusieurs de ses long-métrages que ce soient « Le temps qui reste » ou « Franz » sans oublier « Tout s’est bien passé », son dernier opus consacré à l’euthanasie. Pourtant, au regard de son affiche montrant deux ados accrochés l’un à l’autre sur une bécane, cheveux au vent, on pourrait s’attendre, avec « Eté 85 », au récit d’une histoire d’amour entre deux lycéens des années 1980. Il n’en est rien : les thèmes de l’adolescence et de l’homosexualité passent au second plan pour laisser la première place au thème de la mort. Ozon nous prévient d’ailleurs dès le départ lors d’une première scène dominée par la voix-off d’Alex nous expliquant sa fascination pour la mort malgré sa répulsion des cadavres et conclue par une réplique que le personnage central adresse directement au public : « Si la vue des cadavres vous effraie, alors cette histoire n’est pas pour vous ». Magnifique clin d’œil au Pierrot le Fou de Godard, qui, au volant de sa décapotable, se retournait pour interpeler le spectateur…
La mort comme thème principal donc. Le pari peut sembler risqué pour un film qui gravite autour d’adolescents et des préoccupations qui sont les leurs (études, argent, épanouissement, lien familiaux, place au sein de la société …). Ozon s’en sort d’abord plutôt bien en faisant d’un sauvetage en mer miraculeux le point de rencontre d’Alex et David, en nous présentant ensuite Alex comme un jeune homme que les Egyptiens et leur conception de la mort fascine et en décrivant David comme un garçon dont le destin a été fondamentalement changé par le décès de son père un an auparavant. En revanche, l’addition d’éléments funèbres au fur et à mesure que le film progresse devient indigeste. L’épilogue tragique de l’histoire d’amour, même si annoncé dès le départ, ressemble à un dénouement forcé. L’engagement mutuel que prennent Alex et David d’aller danser sur la tombe du premier des deux qui mourra (quelle idée quand on a 16 ou 18 ans !) peut paraitre saugrenu tout comme la visite d’Alex à la morgue locale déguisé en fille ou sa condamnation pour profanation de sépulture.
La force des films d’Ozon tient souvent dans la manière originale dont il les construit. On se souvient de l’histoire d’un couple racontée à l’envers dans « 5 x 2 », du récit successif des trois victimes d’un même prêtre pédophile dans « Grâce à Dieu » ou encore de l’apparition progressive des « Huit femmes » dans le film du même nom. « Eté 85 » n’échappe pas à la règle : en prenant le parti de nous révéler dès le départ l’issue tragique de l’histoire d’amour éclair entre Alex et David, Ozon mène deux récits en parallèle, celui des six semaines que les deux adolescents passeront ensemble et celui de l’enquête policière à laquelle est confrontée Alex peu après l’accident de David. Cette manière habile de raconter son histoire permet à Ozon de mieux mettre en valeur ses personnages secondaires, notamment Melvil Poupaud méconnaissable en professeur de français homosexuel et Sophie Nanty en mère déboussolée par le comportement de son fils (sans nul doute un des meilleurs rôles de sa carrière). En revanche, Valérie Bruni-Tedeschi est moins convaincante en jeune veuve juive débordante d’amour pour son fils et d’énergie dans la gestion de sa boutique d’articles de pêche.
Par son titre évocateur « Eté 85 » nous donne également l’occasion de pouvoir replonger dans nos souvenirs des années 1980. Outre les décors, tant intérieurs qu’extérieurs, minutieusement reconstitués, Ozon retranscrit parfaitement l’air du temps de cette époque pas si lointaine faite d’insouciance et de liberté, où la jeunesse avait une pression moins forte sur les épaules et où les inégalités sociales étaient moins criantes qu’elles ne le sont aujourd’hui. Une époque où un lycéen issu d’une famille modeste pouvait s’éprendre d’un adolescent venu d’un milieu plus bourgeois. Une époque où la musique électronique balbutiait. Une époque aussi où insouciance rimait trop souvent avec inconscience, où les accidents de la route étaient encore légion et où la mort pouvait vous cueillir froidement à chaque virage.