Décidément, l'amour inspire le cinéma francophone : après Jumbo et La Nuit venue, c'est au tour de François Ozon de s'essayer au film romantique. Evidemment, le nouveau long métrage du réalisateur est de loin le plus abouti et celui qui restera le plus longtemps en mémoire. Tout d'abord, parce que la promesse d'une romance d'été est brillamment tenue. En effet, Ozon capte avec simplicité mais souffle toutes les étapes d'un amour d'été, du premier amour : attraction, fascination, passion, même la lassitude inévitable. Ozon a d'ailleurs bien fait d'utiliser la pellicule : les couleurs n'en sont que plus vives, plus belles, la luminosité est magnifique, la photographie sublime. Le cinéaste joue avec sa caméra et saisit avec brio toutes les nuances de lumière du soleil. On peut aisément qualifier son film de solaire, organique, sensoriel, sensuel aussi. Les corps sont mis en avant, érotisés mais sans aller vers la perversité. Ozon saisit les courbes et les formes des deux jeunes héros, l'émoi visible sur leur corps, les visages sont scrutés avec une vraie attention.
La qualité de la mise en scène rend d'ailleurs hommage à la Normandie où se déroule l'intrigue du film : elle a rarement été aussi bien mise en valeur, tellement superbe qu'on se croirait autre part, dans une autre dimension. C'est la grande qualité du film : le réalisateur parvient à saisir cet instant présent, celui de l'été, d'en montrer l'effervescence, l'exacerbation des sentiments et sensations des personnages, de construire une sorte de bulle autour de cette ville balnéaire. Il réussit à rendre cette histoire hors du temps, et d'un autre côté, toutes les scènes ont un lien avec cette histoire d'amour brève mais intense. Le film ressemble ainsi véritablement à un souvenir d'été, celui de la vie du réalisateur comme celui inscrit dans le livre dont est adapté le film : la sincérité de l'histoire d'amour, son évidence, son réalisme mais aussi le fantasme d'un amour perdu et incandescent vécu à fond. Grâce aux deux acteurs, prodigieux chacun dans leur registre, on croit à l'histoire d'amour, à l'alchimie, à la connexion qui se crée entre les deux jeunes garçons.
En effet, Benjamin Voisin se révèle magnétique. On sent à chaque scène que son personnage est prêt à croquer l'autre. Il dégage une énergie vitale assez dingue. En face, Felix Lefebvre ne démérite pas : il rend le héros tantôt agaçant tantôt touchant comme son comparse mais saisit cet esprit espiègle, réservé, tendre et en même temps intense de son personnage. Il surpasse la prestation de Benjamin Voisin car il est plus subtil mais non moins bouleversant. Les deux acteurs ne font pas que rendre l'alchimie des deux héros évidente. Il réussissent à témoigner d'une attraction/répulsion inévitable mais poignante dans la deuxième partie du film. Benjamin Voisin, à l'aise avec son corps, contraste avec Felix Lefebvre, un peu maladroit et hésitant. Le côté féroce, farouche et excité de David est renforcé par la douceur et l'introversion d'Alex. Les deux acteurs se renvoient la balle, magnifiant la prestation de l'autre. Ozon questionne l'amour à travers ce film plus qu'avec aucun autre. Les deux jeunes garçons n'aiment pas la même chose :
Alex aime être avec David, il aime l'idée de David, son charme, sa personnalité, il serait prêt à n'importe quoi pour lui. Son amour consiste en un mélange de désir, de fascination et de tendresse. A l'inverse, David aime traîner avec Alex, faire une multitude d'activités avec lui. David souhaite multiplier les aventures pour mieux savoir ce qu'il cherche tandis qu'Alex est éperdument épris de David, possessif, jaloux.
C'est là que l'histoire d'amour que conte Ozon est déchirante : une fois passés l'émoi et l'euphorie, une profonde tristesse, une dureté presque cruelle de la part des deux garçons l'un envers l'autre vient envenimer leur relation. Le rôle de Kate vendu comme responsable d'un triangle amoureux dans la bande annonce est bien plus riche que prévu. Le triangle amoureux ne dure que quelques minutes mais c'est la naissance de l'amitié entre Alex et Kate qui va redonner de la vie au récit et au film. Leur relation est touchante car ils souffrent à des degrés différents de la perte de quelqu'un et se soutiennent comme ils peuvent. La complicité qui croit entre les deux fait plaisir à voir. Le lien est certes moins fort, exempt de passion, mais toutefois moins toxique finalement que l'amour qui unissait les deux garçons. Les péripéties d'Alex et de Kate dans la troisième partie du film apportent un regain de personnalité au film : le travestissement d'Alex est une excellente idée, un peu inattendue, qui permet de donner lieu à une très belle scène entre Alex et sa mère. Les personnages de mère sont d'ailleurs très bien écrits : la mère d'Alex est réservée, peu bavarde mais comprend très vite les choses, la mère de David est extravagante, pleine de vie et de joie. Les deux héros sont ainsi le reflet de leur mère, à qui ils empruntent beaucoup. Isabelle Nanty et Valeria Bruni Tedeschi s'en sortent d'ailleurs très bien avec leur rôle, la première à l'opposé de ce dans quoi on a l'habitude de la voir jouer, et la seconde à l'aise dans ce qu'elle sait très bien faire.
La construction en flash backs peut en agacer certains. Je l'ai trouvée justifiée car l'histoire, dès la première scène, est racontée à la première personne avec ce que ça induit de souvenirs réels ou fictifs. Dès la première scène, Alex brise le quatrième mur et permet de s'identifier à lui, de ressentir ce qu'il vit tout au long du film. Au fond, Ozon est bien plus passionné par Alex que par David : le caractère mortifère du jeune garçon, le double deuil qu'il traverse, l'intensité de ses premiers émois amoureux sont captivants. Ozon utilise avec brio la bande originale notamment la chanson de Rod Stewart : Sailing. Elle apparaît à deux reprises : lors d'une scène de danse déchirante et mélancolique à deux, lors d'une autre aussi fougueuse, romantique que morbide. Si je devais faire quelques reproches au film, c'est le traitement de l'enquête par Ozon. Révéler la clé de l'histoire au milieu du film, élever un mystère dès la première scène n'est pas le problème. Le traitement de la justice et de l'investigation est traité avec trop de distance, de manière trop superficielle voire quasiment ridicule avec le personnage problématique de l'éducatrice, si bien qu'on s'en désintéresse comme le réalisateur apparemment.
Pour plus des critiques des films qui font l'actualité, rendez-vous sur :
http://cinedelirious.blogspot.com/