"Un Carnet de bal" est souvent considéré comme le premier film à sketchs français. Je ne sais pas si cette affirmation est historiquement vraie mais en tous les cas il est indéniablement un des plus célèbres représentants du genre.
Le grand Julien Duvivier, le maître d'oeuvre y réunit toute la crème de la crème de la crème du cinéma français, si on excepte Jean Gabin (avec lequel le réalisateur était fâché à l'époque !!!) et Michel Simon, et se laisse aller à son désabusement, à sa tristesse et à son pessimisme coutumiers. Le fil conducteur tient sur une femme fraîchement veuve et à l'approche de la quarantaine qui décide de savoir ce que sont devenus ses anciens cavaliers lors d'un bal quand elle avait 16 ans. En ressort, comme pour 99,99% des films à sketchs, un ensemble qui est inégal.
Le premier sketch, assez psychologiquement éprouvant, avec Françoise Rosay, en mère ayant perdu la raison après le suicide de son fils à cause (bien malgré elle !!!) de la protagoniste, tient admirablement grâce à l'interprétation de la comédienne.
Le second sketch vaut surtout pour l'interprétation de Louis Jouvet et pour son début où celui-ci, qui joue un ancien avocat rayé du barreau devenu chef d'une bande de gangsters, explique à ses hommes comment voler le plus "honnêtement" possible au regard de la loi pour faire le moins de taule possible si jamais la police les prend. Le reste souffre malheureusement d'une écriture un peu mince malgré de très beaux dialogues.
Le troisième sketch avec le monstre sacré Harry Baur heureusement lui est pleinement réussie. Le comédien y incarne un ancien musicien coureur de jupons entré dans les ordres par désespoir d'amour, dirigeant maintenant une chorale d'enfants, joués par les Petits Chanteurs à la Croix de Bois. L'histoire est touchante par sa gravité teintée de spiritualité.
Le sketch suivant avec Pierre Richard-Willm en guide de haute montagne permet une bouffée d'air frais au spectateur, mais le contenu paraît déjà-vu et donc mineur.
L'avant-dernière histoire avec Pierre Blanchar en médecin avorteur tombé au plus profond de la déchéance est sordide à souhait. On peut regretter que Duvivier y abuse un trop lourdement du cadrage oblique pour traduire visuellement le psychisme détruit par l'éthylisme et la maladie du personnage.
Le dernier sketch avec Fernandel, en coiffeur, est assez agréable. Le comédien y plus sobre qu'à l'accoutumé et l'histoire apporte une touche de légèreté bienvenue après une accumulation de destins désespérés.
Mais le meilleur de tous est l'antépénultième sketch dominé (et le mot est faible !!!) par l'extraordinaire Raimu, qui interprète ici le maire d'une petite ville qui s'apprête à épouser sa bonne. Le comédien y est génial comme c'était son habitude. Rien que la séquence du mariage où il célèbre lui-même la cérémonie vaut son pesant d'or.
Autrement, si la comédienne est indéniablement très belle et élégante, le jeu de Marie Bell en fil conducteur est un peu trop affecté pour pleinement convaincre, et la fin qui veut laisser sur une petite touche d'espoir est trop précipité.
Reste que les grands et beaux morceaux de réussite du film dans sa globalité et bien évidemment le casting très prestigieux suffisent largement à en faire un incontournable du cinéma français.