"Les enfants de Windermere" : encore un film sur l’holocauste, me direz-vous. A cela, je vous répondrai « oui », mais plus rares sont ceux qui se penchent sur le cas des enfants, et plus encore sur les effets subis d’une telle épuration ethnique, et encore plus durant les mois qui ont suivi la fin de la guerre. Comprenons-nous bien : je ne dis pas qu’il n’y en a pas, je dis juste que c’est plus rare. Très rapidement, le film entre dans le vif du sujet en embarquant le spectateur dans un bus rempli d’enfants. Très vite, on ressent la peur qui leur vrille les tripes, cette quasi résignation quant à leur sort à plus ou moins brève échéance.
L’un d’entre eux ira même jusqu’à déterminer sa manière de survie en se terrant dans ce qu’il considère comme étant le bus de la mort.
Ainsi on peut mesurer à quel point ils ont vécu les horreurs dans leur abjection la plus inimaginable qui soit, la preuve par les témoignages distillés en version originale sous-titrée à l’entame du long métrage. Des témoignages édifiants. A partir de là, se pose la question de comment apprendre à vivre à ces enfants détruits par la folie nazie, une des périodes les plus noires de l’Histoire pour ne pas dire la plus noire. Comment les apprivoiser ? Sauf qu’on ne peut parler d’apprivoisement, simplement parce que ce ne sont pas des animaux. Seulement des êtres humains. Des êtres humains qui certes, pour certains d’entre eux, ont dû se comporter comme des bêtes pour survivre. Et pourtant, c’est là que se trouve le plus grand bémol pour moi : pas d’enfant rachitique. Pas d’aspect squelettique. Rien qui trahit, hormis la plus vive inquiétude dans les yeux, la route de l’enfer qu’ils ont dû emprunter malgré eux. Mais le jeu des acteurs (notamment l'expression scénique) est tel que ça comble tout de même cette lacune. Après, à la réflexion, il me paraissait difficile de demander à tous ces jeunes gens de faire un régime drastique… sans compter que la malnutrition n’amène pas forcément une stature squelettique. Ceci était une parenthèse. Revenons-en à la reconstruction de ces âmes en peine. Comment s’y prendre ? Là est toute la problématique. Beaucoup de théories ont été avancées pour accueillir les enfants. Sauf que le personnel a été pris de court. La raison à ça est que personne ne peut imaginer ce par quoi les enfants sont passés. Aussi, le film met en évidence les inévitables maladresses, l’impuissance devant l’importance du traumatisme, et la prise de conscience de l’insoupçonnée immensité du travail à accomplir. Jusqu’au bureau laissé désespérément vide, uniquement occupé par celui qui doit « débriefer » les enfants en proie à leurs pires cauchemars. Pas étonnant donc de voir naître une multitude de doutes, voire des moments de découragement chez les encadrants, privés qu’ils sont de certaines récompenses
, comme le plaisir de courir, de s’éclabousser d’eau
… Pas étonnant non plus que les relations entre le personnel et les pensionnaires restent timides. On n’efface pas en 4 mois plusieurs années d’horreur ! Certains d’entre vous diront qu’ils s’attendaient à ce que les relations entre les adultes et les enfants soient davantage développées. Peut-être est-ce vrai… Cependant je pense que tout n’allait pas se délier en quelques semaines. Ces enfants ont perdu confiance en la race humaine (d’ailleurs se considéraient-ils encore comme en en faisant partie ?), et la confiance ne se regagne pas en quatre coups de cuillères à pot.
D’ailleurs ne se dit-il pas que, le moment venu de quitter cet asile éloigné du tumulte et de l’immense champ de ruines qu’est devenue l’Europe, il est encore trop tôt ?
Et je ne parle même pas du fait qu’il est difficile de faire le tour complet de la question en moins d’une heure trente. Moi je crois que le juste équilibre a été trouvé, puisque la meilleure des reconnaissances viendra en fin de film par l’intermédiaire des témoignages (c’est d’ailleurs en ce qui me concerne le moment le plus émouvant qui a réussi à me soutirer quelques larmes) : la meilleure des récompenses pour les encadrants, avec en prime la réussite dans la vie, tant professionnelle que privée. Oui, je considère que le ton juste a été trouvé, tant au niveau réalisation qu’au niveau de la partition qui accompagne le film. En effet, la musique intervient toujours quand il faut, avec les notes qu’il faut. Le réalisateur a su rester sobre, sans sombrer dans la surenchère visant à appuyer le pathos. Et de ce fait, lui et son scénariste nous invitent à nous informer sur la difficulté à se reconstruire après un passage dans les camps de concentration, que ce soit un ou plusieurs. Mais avant tout, je crois que le réalisateur aime la nature. Entre les prises de vue en forêt, la découverte du lac promu comme véritable fontaine de régénération, de l’autre côté duquel trônent les vertes collines de l’Ecosse, les racines à nu des arbres pudiquement recouvertes de mousse… Un lieu rêvé pour faire retrouver à ses gamins les racines du genre humain auxquels ils appartiennent. Car quoiqu’on en dise, le genre humain est issu de la nature. Mais le réalisateur doit aussi aimer le genre humain, pour porter à l’écran des histoires telles que celles-là, avec à la clé des scènes fortes telles que ces gamins inséparables, ou l’attente de ce frère dont on ne sait rien. Alors certes ce film est perfectible, certes il y a mieux dans le genre, je veux dire par là plus émouvant, plus puissant. Mais il y a tellement pire aussi… Mais il a le mérite de traiter d’un sujet peu exploité au cinéma, ou à la télévision. Comme quoi, après plus d’un demi-siècle, il reste encore des sujets qui restent intéressants à exploiter, et à regarder. Et qui restent malheureusement d’actualité, pour la bonne et simple raison qu’il y a des endroits sur Terre où les pires exactions perdurent. Tout comme la xénophobie, l’antisémitisme, qui continuent à perdurer, idéologies condamnables et pour lesquelles on enverrait volontiers les auteurs vivre ce que des millions de juifs ont vécu. Comme quoi, la fin de la guerre n’a pas tout résolu… y compris dans le cœur de ces malheureuses victimes vivantes, qui ont bien du mal à exprimer leurs souffrances dans la parole, mais quand ça sort, c’est de la rancœur adressée aux jeunes filles juives, ce que le film se targue de mettre en avant, à l’instar d’une foule de sentiments telles que les certitudes (erronées ou pas), des souffrances, de l’espoir, des désillusions et j’en passe, la liste est loin d’être exhaustive ! L’autre bémol pour moi réside dans cette insistance dans les cauchemars nocturnes. Les cris, les lamentations qui meublent les couloirs désertés par la lumière du jour auraient dû suffire, au lieu d’insister sur les sommeils agités physiquement parlant, pour le coup un poil redondants. A côté de ça, je tenais à souligner la très bonne prestation de Thomas Kretschmann. On sent qu’il a mis tout son cœur dans ce rôle, toute son humanité. J’y ai même retrouvé une vivacité de l’œil similaire à celle qu’avait su exprimer le regretté Robin Williams dans "Le cercle des poètes disparus". Et puis c’est lui qui nous régale de son incroyable sens de la répartie doublée d’une pédagogie hors normes quand il s’agit de remettre en place ceux qui osent s’attaquer à ses petits protégés. Et puis un mot concernant Ian Glen, dans un rôle très différent de ce qu’il a l’habitude de nous offrir. Pour conclure, "Les enfants de Windermere" est un film intéressant à bien des égards. Pas forcément des plus marquants, mais assurément touchant, qui plus est doté d’une belle photographie.