Depuis son retour des Etats-Unis pour la réalisation de « Au poste ! », Quentin Dupieux a eu une activité relativement soutenue. Fin 2024, il devrait compter pas moins de sept films à son actif (douze au total), ce qui sera une réelle performance pour un réalisateur évoluant dans un créneau très étroit du cinéma français, celui du non sens. Il faut dire que désormais les vedettes du cinéma français se bousculent pour apparaître devant sa caméra. Alain Chabat, Benoît Poelvordre, Jean Dujardin, Adèle Exarchopoulos, Léa Drucker et Benoît Magimel constituent à coup sûr un joli tableau de chasse. Selon un format relativement court (entre 1h15 et 1h30) assez bienvenu pour conserver une continuité et certaine cohérence à l’univers qu’il développe dans chacun de ses films, Quentin Dupieux qui écrit lui-même ses scénarios, étale sur la toile sa géographie très orchestrée de l’absurde. Ici, le Midi de la France, une mouche géante trouvée dans un coffre de voiture et deux abrutis bien français comme ceux de la fameuse trilogie des idiots des frères Coen ( « O’brother » , « Intolérable cruauté » et « Burning after reading ») étaient bien américains. Deux idiots incarnés par Grégoire Ludig et David Marsais, les deux membres du duo comique « Palmashow », qui en tiennent une sacrée couche au point que le spectateur peut être tout d’abord agacé puis effrayé par tant d’ignorance alors qu’on nous dit que le système éducatif français n’en finit pas de s’enfoncer dans la reproduction de l’inculture. Si on en croit Quentin Dupieux, le fond n’est pas encore atteint. Les deux zouaves à peine surpris de la présence d’une mouche géante dans un coffre de voiture se mettent dans l’idée de la dresser pour se faire un maximum de fric (horizon désormais indépassable auquel on ne peut plus échapper !). Unis par une solide amitié construite sur les fondements de leurs origines communes, modestes et un peu sordides, les deux zigs finissent par devenir touchants notamment par leur sincérité mais aussi par le rapport affectif qu’ils développent avec l’insecte (clin d’œil à « E.T » de Steven Spielberg). De ce point de vue, « Mandibules » est sans aucun doute le film le moins pessimiste de Dupieux qui invite à prendre la vie comme elle vient sans trop se poser de questions et en s’adaptant tout simplement aux événements. Une faculté qui, au-delà de leur signe de ralliement singulier au cri de « Taureau ! » qu’ils répètent à l’envi à chaque moment de la journée où tout simplement pour se rappeler à l’amitié de l’autre, démontre un instinct de survie aiguisé pour ces deux accidentés de la vie ayant bien compris qu’à deux on est plus fort. L’odyssée méridionale des deux compères et de leur encombrante mouche est comme toujours chez Dupieux parsemée de rencontres insolites dont on retiendra tout particulièrement celle avec Agnès, une jeune fille campée par Adèle Exarchopoulos, empruntant les allures martiales de Greta Thunberg et qui suite à un accident de ski, ne sait plus parler qu’en hurlant. Une Adèle Exarchopoulos complétement raccord avec l’univers de Dupieux et dont on se demande comment le César du meilleur second rôle féminin 2022 pourrait lui échapper. Un film à la construction moins vertigineuse que le sublime « Réalité » ou encore le très référentiel « Au poste ! » mais qui brosse en filigrane de son propos d’apparence décalé, un tableau des rapports sociaux actuels qui laisse songeur.