« Bac Nord », l’antithèse de « Les Misérables » ? Ou un complément ? Je me plais à penser que l’un et l’autre se complètent. On ne peut ni ignorer le point de vue de Ladj Ly ni celui de Cédric Jimenez.
En tout cas, je craignais ce « Bac Nord » : une redite de plus sur les dérives policières ; une redite de plus sur ces habitants opprimés par la police, l’Etat etc.
Seulement, à ma grande surprise, « Bac Nord » est inspiré d’un fait réel. Certes, peu glorieux dans la mesure où la police a dépassé la ligne jaune pour parvenir à ses fins.
Eh alors ? aurais-je tendance à rétorquer !
Je comprends parfaitement qu’il peut y avoir légitimement sanction si la ligne jaune est dépassée. Seulement, ce qui est répréhensible du côté de la loi doit l’être aussi du côté des hors-la-loi. Or, on s’aperçoit dans ce « Bac Nord », qu’on peut repousser les forces de l’ordre à la Kalachnikov, que des mafieux peuvent menacer des forces de l’ordre, arme au poing, pour revendiquer de droit d’exercer en toute tranquillité tout commerce de la drogue !
Ce n'est pas nouveau !
Le simple fait de porter une arme ne semble pas être déjà un argument de taille pour mettre sous écrou !
Que faire ? Jouer les Jack Bauer ?! Ou jouer le jeu des hors-la-loi pour parvenir à les appréhender ?
Peut-on limiter le dépassement de la ligne jaune ? Jusqu’où peut-on accepter un dépassement exceptionnel, ponctuel ? Peut-on tout simplement l’évoquer ? Le fait de l’évoquer est-ce déjà franchir la ligne jaune ?!
En ce qui me concerne, si « des petits arrangements entre amis ou ennemis » ne permettent aucun enrichissement personnel, cela ne me dérange pas si des hors-la-loi sont appréhendés.
Le cas d’Antoine (François Civil) est délicat, il ne s’enrichit pas, mais ce qu’il donne permet d’enrichir sa copine Amel (Kenza Fortas) !
Ladj Ly dénonçait du doigt les dérives de la police, Cédric Jimenez dénonce les dérives de la police sans porter de jugement.
« Les Misérables » montrait une police reconnue coupable pour une bavure, « Bac Nord » montre une police plutôt victime d’une hiérarchie qui n’assume pas les ordres de mission autorisant le dépassement de la ligne jaune et qui ne protège pas ceux qui l’exécutent.
Ce qui est terrifiant, c’est la morale soudaine des voyous ; comme ils sont mauvais perdants, ils se mettent du coté de la loi pour dénoncer les agissements illégaux des policiers !
Le film est énergique, il y a quelques séquences saisissantes de réalisme. Je peux comprendre que ce film puisse être récupéré par des partis qui prônent le Kärcher ! Inspiré d’une histoire vraie, « Bac Nord » m’impressionne par ses images de guerre, d’individus armés, hostiles à toutes réflexions républicaines ; il m’impressionne par l’ingrate mission de ces policiers.
Franchement, j’ai trouvé extrêmement ingrat, dur, insupportable la mise sous écrous de ces policiers qui se démènent comme ils peuvent pour préserver un semblant de démocratie.
Alors, on peut toujours dire que Cédric Jimenez a chargé la mule avec cette séquence
d’un jeune ado poignardant le dos de Yass (Karim Leklou) pour échapper à un éventuel lynchage.
Quand Yass repousse l’ado, la mère le gifle ! Au lieu de s’indigner de l’acte de son fils, elle s’indigne d’une gifle !
Greg (Gilles Lellouche) qui déplorait que les habitants ne croyaient plus en la police parce qu’elle n’arrive plus à les protéger des mafieux, cette scène nous révèle une gangrène à tous les étages !
C’est à désespérer !
Cédric Jimenez, le réalisateur sait de quoi il parle, il est né dans ces quartiers nord au même titre que Ladj Ly dans sa banlieue parisienne. Tous deux sont légitimes pour traduire cette gangrène humaine qui ronge les quartiers.
Les torts sont partagés. La rage est des deux côtés. Il n’y a pas de bon d’un côté, de méchant de l’autre. C’est nettement plus complexe.
A force de repousser les représentants de l’Etat, de les voir comme des monstres, les cités crèveront faute d’assistance de l’Etat. « Divines » en est une parfaite illustration.